• Une petite cuvette qu'encerclaient des hauteurs, renforcées par un muretin de pierres sèches pour s'abriter du vent, servait de bergerie. Quand ils la rejoignirent, le ciel s'éclairait et la rosée limpide, à l'approche de l'enclos, semblait soudain figée, blanchissant le gazon.
    Les bêtes étaient bien là, et leurs gardiens aussi.
    Tout recroquevillés, comme par le froid saisis, au milieu d'une mer de laine silencieuse.
    Un froid terrifiant régnait encore ici, tandis qu'à l'horizon croassait un corbeau. Les bergers virent, qui leur fils, qui leur frère, reposer sans un geste sous un linceul de givre. Ils crièrent, pleurèrent, s'arrachèrent les cheveux, mais aucun d'eux n'osa s'avancer vers le sinistre cercle, encore moins continuer à suivre la douloureuse piste.
    Et pourtant, plus bas de l'autre côté des crêtes, par des cols élargis, on aboutit au val, abritant le village...

    Vingt des Centaures les plus puissants dévalaient la colline, bruyante cavalcade. Luisants de leur sueur, la barbe en bataille, ils agrippaient leurs arcs d'une poigne puissante. A l'appel de leur Reine, ils avaient répondu : depuis les terres lointaines, là où s'étend leur plate contrée, ils avaient galopé. Les bergers de leurs trompes alertèrent les leurs, qui quittant leur village, remontèrent le val et croisèrent la forte troupe.
    Plus rien dès l’abord ne la séparait du terrible Vieillard. Leur galop résonnant comme torrent furieux, au travers des sous-bois mélézins atteignirent bientôt jusqu’au oreilles du Vieux.
    Mais il ne fit pas mine de changer son chemin, et bientôt le sentirent les Centaures, qui scindèrent leur puissance pour former cercle autour de lui. Demeurant à distance ils frappèrent flèches sur flèches, mais à peine atteignaient-elles le cuir rêche et ridé de sa peau que leurs bois pourrissaient et que les pointes de bronze verdissaient soudainement.
    Le plus redoutable des Hommes-étalons chargea de son épée le béquillard en attente. Le fer en rouilla au premier choc, il n’y en eut pas de second. Voyant leurs efforts inutiles, ses compagnons tournèrent bride, rejoindre au plus vite la Reine.
    Au milieu de la clairière qu’il avait par son pourrissement lui-même ouverte, le Terrible se tint un moment, fixant le regard vitreux de son adversaire figé, tandis que volait le corbeau.

    La grande et belle Reine au milieu de son peuple reçut cette nouvelle et son cœur geignit. On proposa comme arme d’envoyer un Dactyle, un de ces génies de braise, maître de la flamme, mais la Reine savait que nul esprit, qu’aucun de ses sujets, que toutes les bravoures, quels que soient les haut-faits jamais ne suffiraient.

    « Votre Reine ira. »
    Tous protestèrent, à ses pieds se jetèrent, toutes ses créatures prêtes à périr pour Elle, mais par pitié, miséricorde pas leur Salvatrice !
    Pourtant rien n’y fit, et si la Reine ordonne nul ne désobéit.
    Elle marcha donc précédant tout son peuple, dont la foule grossissait à chacun de ses pas. Ils cheminèrent sur de riants sentiers, montant doucement au long de la forêt, mais les cœurs étaient lourds et le silence régnait.
    Ils sentirent bientôt comme un froid dans les airs, et la Reine leur intima de rester en arrière. Elle les regarda tous dans un dernier sourire, tandis que s’élevait un très profond soupir.
    Elle alla seule, pleine de majesté, affronter le Vieillard qui semblait s’y attendre, le corbeau à l’épaule.

    « Arrrièrrre Grrrande Rrreine ! Mon frrroid est absolu et mon sommeil oublie jusqu’au rrréveil !
    - Il me faudra avancer quand même.
    - Vos beaux yeux gèlerrront, vos mains se brrriserrront, et je ne pourrrais plus que contempler votrrre beau corrrps glacé !
    - Il me faudra malgré tout essayer. »

    Alors le Vieux si Terrible plia dans un effort crissant ses genoux cagneux comme bois pétrifié. Et ce fut à genou, en pose de suppliant, qu’il essaya une dernière fois de faire changer l’avis royal.
    « Pitié ma Rrreine ! N’avancez plus ! Je ne veux pas aussi vous voirrr pérrrir ! »
    De grosses larmes gelèrent presque instantanément sur les rides ligneuses de son visage pleurant. Mais la Reine avança, et sa main et son corps. Le Vieux ferma les yeux, et rabaissa la tête.
    Tendrement Elle posa sa main sur la broussaille que formaient ses cheveux. Sa peau devint plus blanche, du même lait que la Mort, et Elle sourit au Vieux, comprenant sa douleur.
    Elle prit de son fardeau, et tomba lentement, la glace se formant. Ses longs cheveux se démêlant, parurent flotter dans l’air, recouvrant son visage d’un voile mortuaire. Elle s’étendit enfin, d’un sommeil funèbre, ramenant sur ses seins, ses mains toutes blêmissantes.
    Il ne resta dès lors qu’un pauvre Vieux tout en pleurs, qui pleura sur la belle Dame endormie.
    Chacun de ses sanglots, au contact de la Reine, se métamorphosait, d’un lourd cristal de glace, en flocon si léger que le vent l’emportait.Le Vieux s’en aperçut, et fut tout étonné.

    La Neige naquit au monde, et il eut un espoir.
    Il comprit quelque chose, que sa malédiction n’était plus si totale. Partout où il irait, il amènerait le froid, magnifié par la Neige. Mais il repartirait, laissant à son éveil le Printemps assoupi. Alors Celle qui avait prit un peu de son terrible fardeau se réveillerait pour guérir à nouveau.
    L’Hiver reviendrait, dès lors il serait beau.


    Fin

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  • Au détour du chemin siégeait un grand rocher. Comme une dent pointue au milieu des sapins, il se dressait grisâtre, masse gigantesque.
    Planté dans les fougères et autres champignons, sa surface, curieusement, semblait douce au toucher.
    Baignant par sa base dans la moiteur propre aux sous-bois, il offrait au soleil une pente, où pouvait s’ébattre l'ombre des résineux. Une source sourdait à ses pieds, jetant sur un roc plus petit sa froide pureté, se perdant ensuite dans la mousse.
    Des mains blanches, longues et fines, sans tressaillir, formèrent une coupe et recueillirent le précieux élément ; puis elles s'élevèrent, se portant à des lèvres délicates qui en burent le limpide contenu.

    Les mains redescendues, des manches soyeuses retombèrent par-dessus. Et de la bouche ouverte un chant profond et doux s'envola vers le ciel, comme jamais brise ne fit. Quand enfin il se tut, aussi mystérieusement qu'a commencé un rêve, la Reine se tourna et regarda ses gens.
    «Qui connaît ce grand mal dont l'emprise s'étend ? Quel est ce voyageur qui marche avec la mort ? Pourquoi mes arbres pleurent, et la terre soupire-t-elle ? Partout il faut guérir, étendre la main, ramener la vie ! Qui osera chercher le sombre visiteur ? Qui enfin croisera ses yeux pleins de colère ? Il suffit de suivre ses traces, blessures béantes ouvertes dans mon cœur, mais qui aura le courage d'une telle rencontre ? »

    Il y avait un Satyre qui crut pouvoir le faire. L'élégant fit courbette et salua sa Reine, et puis d'un pas léger marcha vers son destin, rythmant sa promenade en jouant de sa flûte. Il suivit le sentier descendant jusqu'au val, puis de ses pieds de bouc sauta de pierre en pierre, agile dans le tumulte du torrent qui grondait. Il savait que les Nymphes avait vu le vieil homme, à l'endroit où les eaux s'étendent et s'assagissent.
    Il atteignit la clairière mais crut s'être mépris : les arbres étaient tout noirs et l'herbe disparue.
    La piste était facile, elle descendait toujours vers l'aval du ruisseau, là où pleurent les saules où il devient rivière.
    La course était aisée, mais le galant voyait s’évanouir toute son assurance, en voyant les méfaits tout autour de lui. Enfin il s'arrêta, s'assit sur un vieux tronc couché dans la poussière, et pour s'encourager joua encore un peu.
    A la troisième note un corbeau arriva, le Satyre pris de peur, laissa son instrument tomber et demeura immobile.

    Un froid noir comme le vide s'empara de son corps, ses jambes prirent racine. Son sang se figeait dans ses veines : et pour cause, il gelait ! Quand il tourna sa tête, dans un dernier effort, il vit le vieux barbu et puis cela fut tout.
    Il lui sembla pourtant, un peu, juste auparavant, qu'engoncés dans ce masque ridé, presque une écorce, les yeux étaient las attendant une chose ; puis comme deux feuilles mortes les paupières s'abaissèrent tandis que le témoin sans un cri s'effaça.

    Le soleil lentement acheva sa journée, dispersant sa lumière aux faîtes des grands arbres, au loin sur l'horizon, minuscules buissons. Les ombres s'allongèrent dans la couleur orange que prend le crépuscule, inexorablement les teintes s'obscurcirent. Là-haut sur les alpages, un vent fouettant de vie avertit les chamois que s'éveille la nuit.
    Quand enfin le regard n'eut plus à s'abriter de ce souffle mordant, les étoiles une à une apparurent dans le calme revenu.
    Leur répondait à terre un feu revigorant. Mais ses braises n'éloignaient pas le froid qui prenait les cœurs, et l'assistance à grand'peine tentait de s'y réchauffer.

    De solides bergers avaient entendu dire qu'un doigt sombre et glacé pointait vers leurs troupeaux.
    «Le Vieux a quitté le fleuve, l'a pris un affluent. Il allait vers la mer, c'était tout aussi bien, maintenant il remonte et atteint les collines. Qu'allons-nous faire s'il arrive jusqu'à nous ? Faudra-t-il descendre les bêtes à couvert, de l'autre côté des montagnes ?
    - Et qu'est-ce qui nous dit que ce n'est pas vers là qu'il se dirige ? Partout où il passe, on dit que tout s'amenuise... et disparaît. La terre est pourrie, l'herbe brûlée. La Reine - que sa bénédiction toujours nous accompagne - a beau reprendre là où la toile s'est déchirée, le monstre un autre endroit va dénicher et mettre à sac!
    - Nous avons nos chiens, nos couteaux et nos bras. Défendons les pâtures et rejetons ce fléau !
    - Il dit vrai ! Armons-nous de nos torches, prenons tous nos bâtons, et descendons dès que sortira la lune. »

    A la lumière blafarde miroir du soleil, d'une lune bien entière, les plateaux s'étendaient révélant leurs limites.
    La troupe laissait derrière l'ombre de nombreuses crêtes tandis que par-devant, quelque part tout au bout, l'alpage descendait, parfois coupé de falaises.
    Les hommes de la montagne connaissaient leur domaine, le pas sûr et robuste, les torches à la main, accompagnant l'écho des aboiements des chiens.
    Ils allèrent, descendirent, atteignirent les premiers arbres. Mais là ils devinrent indécis. Sur les vastes hauteurs, à peine accidentées, la vue portait au loin ; mais ici les troncs noirs semblaient autant d'ennemis : au bout de quelques pas, on en vint à se dire que remettre au matin serait beaucoup plus sage. Il remontèrent donc, prirent un peu plus à droite, la descente est facile mais son contraire plus rude.

    Ils croisèrent un sentier, qu'ils ne reconnurent pas. Ils virent qu'il était large et sombre sous le rayon de lune, et sentirent une grande frayeur, telles des eaux folles, se répandre dans leurs poitrines.
    Le Terrible était probablement passé, et les attendait peut-être en haut de la pente. Et les moutons parqués, surveillés seulement par quelques-uns des plus jeunes, allaient lui offrir une occasion bien facile.
    Il leur fallait continuer à tout prix, vaincre leur peur et ressurgir sur le plateau.
    Quelques bêlements parvinrent, tandis qu'hurlait le vieux chien qu'ils avaient confié aux gardiens. Des cris encore, puis le lourd silence.

    Le chemin d'herbes sèches, aplaties comme par une harde immense de lourds animaux, conduisait les pasteurs qui cherchaient encore à se le nier, tout droit sur l'endroit qu'ils redoutaient le plus.


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  • Le Passage
    Ils arrivèrent à l’aube en vue du fjord. Ils abandonnèrent les motoneiges de police trop repérables et continuèrent à pied. Ingrid était transie de froid et fatiguée, mais le temps pressait. Il fallut encore une longue et pénible marche pour se diriger vers la maison côtière.
    Mais à mi-chemin, il rencontrèrent la « sœur » de Kurt, l’énergique petite norvégienne qui avait recueilli Heimdall, il y a sept ans. Elle les fit monter dans sa camionnette électrique et ils arrivèrent sans plus d’encombre à destination.
    Il était encore largement temps jusqu’à minuit.

    Sur le rivage, le guerrier à l’armure d’or prit son corps et sonna, par trois fois. La mer sembla se couvrir de brume, comme si un mur barrait l’ouverture du fjord. Le temps pourtant paraissait interminable à tous, car ils savaient que Ragnar s’il n’était pas mort, n’abandonnerait pas aussi facilement la lutte. Mais il fallait encore qu’il les retrouve.
    Une barque silencieuse se mut sur l’eau totalement calme de la mer. Sa proue était sculptée d’un dragon. A son bord était un petit homme à la barbe épaisse comme un taillis. Il paraissait usé et fatigué. Pourtant une joie indicible orna son visage ridé comme une pomme de pin lorsqu’il reconnut à côté du Gardien en armure d’or, la ravissante jeune fille aux cheveux de feu, qui attendait.

    Elle aussi était harassée, et tenait avec peine, soutenue par la Norvégienne. Elle s’inquiéta d’abord de ce nouveau venu, mais à la vue de son sourire, des souvenirs tendres remontèrent en elle.
    « Fenryr !
    - Et tu me reconnais en plus ! Oh ma Dame ! Quel bonheur de vous savoir enfin réunis tous les deux ! Et toi Heimdall ! Comme mon cœur a pu saigner lorsque je découvris la plage vide et abandonnée, au matin du jour suivant ton départ ! Mais vous êtes saufs, c’est le principal !
    - Pressons, pressons Fenryr, je suis moi aussi très heureux de te revoir, mais le danger rôde. Il nous faut partir au plus vite. De plus notre présence met en danger Yolande, que voici. C’est elle qui m’a aidé et guidé pendant ces sept longues années. C’est aussi elle qui m’a soufflé un plan que seul un esprit féminin aurait pu inventer, et qui m’a permis de me servir de Loki, alors qu’il croyait se servir de moi.
    - Elle a donc amplement mérité de nous accompagner, bien qu’humaine ! » répliqua le nain, soudain sérieux.
    - Je serais très curieuse de visiter votre monde. Mais je suis attachée au mien. Nous en avons longuement discuté avec Heimdall. Je sais qu’une vie humaine ici a autant sa place, son rôle et son importance que les vôtres.
    - Hum... Mais tu sais maintenant beaucoup de chose. Si tu le divulguais, l’Adversaire chercherait à te trouver pour t’empêcher de lui nuire. Nous t’avons donc mise dans une situation bien dangereuse pour une simple mortelle.
    - Je tiendrais ma langue. Cela fait sept ans que je l’ai prouvé à Heimdall. Je sais garder un secret.
    - Un secret bien lourd ma foi, mais si telle est ta décision. Sache que tu ne resteras pas longtemps seule ici. Nous serons là de temps à autre, nous ou l’un des nôtres.
    Mais toutes nos approches doivent rester très secrètes, et ce sera très discret, car dès que nous agissons au grand jour, le Mal sait et vient à notre suite. Ce sera comme un oiseau qui te rendra visite, ou une feuille qui se posera sur le livre que tu seras en train de lire...
    Mais sache que quoi qu’il t’arrive, le jour de ton grand Départ, quand tu quitteras ces rivages pour remonter jusqu’à nous, nous serons là pour te guider.
    - Et ni Heimdall ni Veya ne t’oublieront, petite soeur !»
    Ingrid pleurait en lui disant cela. Elle aurait aimé avoir le temps de plus la connaître.
    «Et tu peux croire notre serment, car il durera tant que l’Adversaire ne nous aura pas anéantis. Et je souhaite que cela ne soit jamais. Adieu donc ! »

    La petite norvégienne, sa casquette vissée sur le front, les embrassa, et leur fit aussi ses adieux. Elle apparaissait très forte aux trois voyageurs, qui ne purent s’empêcher d’admirer son courage. Bientôt la barque disparut au sein de la brume, tandis que retentissait le cor sacré.
    «Moi non plus je ne vous oublierais pas. Et mon coeur est vaste, très vaste.»
    La petite femme leva un sourcil noir, et ne put s’empêcher de soupirer.


    Terrible retour
    Fenryr, Veya et le Gardien arrivèrent dans une mer tempétueuse, pleine de rafales de glace et de douleurs. Ils passèrent à travers de terrifiants navires, et ne durent leur arrivée sains et saufs sur la plage que grâce à leur petite taille et au talent de navigateur de Fenryr, qui prit cette fois la direction de la barque enchantée.
    Mais la bataille faisait rage au point qu’aucun des ennemis ne parut remarquer l’arrivée de ce petit groupe. Jusqu’à ce que Heimdall débarque. Alors peu à peu une trouée énorme se créa dans les rangs serrés des adversaires, tandis qu’une immense clameur de joie parcourut le rang des assiégés, qui tentaient depuis le début de l’Ouverture de repousser vague après vague l’assaut des envahisseurs hurlants et gesticulants de fureur.
    Les champions firent une trouée jusqu’à la barque, d’où ils ramenèrent vers la sécurité intérieure Veya et Fenryr. Heimdall continuait à faucher comme des blés murs la marée grouillante des démons.
    Mais la poigne de fer de Ragnar leur manquait. Leurs autres chefs, voyant le retour de Heimdall, jugèrent inutile de continuer une bataille qui ne serait plus qu’une simple boucherie, et ils renoncèrent à l’assaut. Bientôt la mer se calma, pleine des débris de sa colère, tandis que ressortait le soleil. Les nuages s’effilochèrent, les rafales cessèrent, neige et glace disparurent.
    Ce fut comme l’éclatement d’un Printemps qu’on aurait retardé depuis de longues années. Veya, sans avoir encore tout retrouvé d’elle-même, par sa seule vertu de Déesse du Printemps, souriait à l’île, et l’île lui souria.

    On profita des jours suivants pour envoyer des gardes en mission dans le monde des Hommes. Certes, l’Ennemi en ferait autant, et beaucoup ne reviendraient pas lors de la prochaine Ouverture, mais telle était la charge maintenant éternelle du Gwenwed.
    Une charge qui était acceptée, non avec résignation, mais avec courage, dès lors que le Gardien et Veya resteraient unis pour défendre les Portes.
    Mais une peine demeura dans leur coeur, car malgré leur promesse, nul ne retrouva la courageuse petite Yolande.



    Epilogue

    Un homme qui devait être de haute stature, avec une horrible cicatrice sur le visage, comme si un fauve le lui avait dévoré, arriva en rampant devant une petite maison côtière de l’Office de l’écosystème.
    Il souffrait horriblement, et cela ne faisait qu’augmenter la haine qui brûlait en lui.

    «Ce beau pays viking a donc perdu son protecteur, Ragnar?»
    L’homme parut étonné de s’entendre ainsi nommé. Dans sa haine, il lui avait semblé sentir une Présence, mais tout était si bousculé dans sa tête qu’il ne l’avait pas vraiment réalisée. Il regarda la Femme aux longs cheveux noirs, aux pieds de qui il avait abouti dans sa ténacité et son désespoir.
    «Toi ici Déesse ? Alors tu sais déjà tout. Oui le sang de Gonnh a été vengé. Ounri a été renvoyé dans les limbes. Mais il m’a cruellement blessé. Aide-moi.
    - Quand cesseront donc ces vengeances et tout ce sang, Ragnar?
    - Ils sont passés n’est-ce pas ? Ils ont réussi à rentrer ?»

    Curieusement, le rictus de Ragnar ressemblait presque à un sourire.
    «Oui, ils sont rentrés. Heimdall monte à nouveau la garde, assisté de Veya.»
    Il savait que pousser un hurlement de rage ne servait en rien en face d’Elle.
    «Je le tenais. J’aurais pu le tuer. Je l’avais déjà tué ! C’est Toi qui les as aidés n’est-ce pas ? C’est Toi que je n’ai même pas su deviner derrière ton masque!
    - On ne se met pas impunément en travers de ma route, Ragnar. Et le destin d’Heimdall et de Veya est de s’aimer, pour que survive la lutte. Au fond c’est ce que tu préférais non ?»

    Le regard de Ragnar, étrangement, se calma, et il tendit les yeux vers la mer, apaisé.
    «Qu’est-ce que je veux vraiment au fond ? Qu’est-ce que nous voulons tous?»
    La Femme se tourna à son tour vers la mer. Elle poussa un profond soupir.
    «Je vais t’aider Ragnar. Je vais t’aider.»

    FIN

     


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  • Le train
    Les journées suivantes furent comme un rêve pour Kurt et Ingrid. On aurait dit que quelqu’un les protégeait de toutes choses déconcertantes. Enfin Kurt dut rentrer chez lui. C’était le week-end, il devait prendre le train de nuit, et Ingrid avait pris quelques jours pour pouvoir l’accompagner. Elle avait hâte de voir la petite maison sur le bord de la mer qu’il partageait avec sa sœur, quelque part à l’entrée d’un fjord plus au nord.

    Bien que c’était à peine l’automne, la neige tombait plus drue au fur et à mesure que le train montait vers le septentrion. Ils étaient seuls dans un compartiment. Le train fit une halte dans une gare perdue dans la montagne, et l’Ombre pénétra à l’intérieur.

    Ingrid se sentait nerveuse. Kurt paraissait de même. Des pas lourds se firent entendre dans le couloir. La porte s’ouvrit. Un homme grand et large, à la face large terminée par une barbe en pointe et aux cheveux longs, entra dans un étonnant silence à l’intérieur. Il s’assit en les regardant de dessous ses sourcils, et ne dit mot. Il avait baissé la tête, mais on sentait son regard percer derrière ses cheveux.
    Ingrid avait senti un frisson lui remonter l’échine. Kurt essaya de lui sourire, mais il était clair qu’il avait de plus en plus de mal à garder son calme.

    Au bout d’un long moment qui sembla aussi pesant que l’éternité, il la prit par la main et tous deux sortirent, en prenant soin de ne pas même effleurer les genoux de l’étranger.
    « Je n’aime pas cet homme, Kurt. Je ne sais pas pourquoi mais je le redoute.
    - Tu as raison. A moi non plus il ne revient pas. »
    Ils étaient sortis à l’extrémité du wagon, qui paraissait vide.
    « Je sais bien que je vais te paraître ridicule, mais… Je n’ai pas envie de retourner dans notre compartiment. Même…
    - Quoi ? N’hésite pas, dis-moi tout !
    - C’est fou… Mais je voudrais qu’on descende à la prochaine gare.
    - Et nos affaires ?
    - Tu as tes papiers avec toi, et moi aussi. Au diable les affaires. Le service du train les retrouvera toujours. Si nous les prenons… J’ai peur qu’il ne nous suive tu comprends ?
    - Je suis d’accord, nous descendrons dès que possible, mais pour l’instant il faudrait trouver un autre wagon où… »
    Il ne finit pas sa phrase. L’homme à la carrure impressionnante se tenait devant eux, derrière la porte d’accès du couloir.
    « Bon maintenant cela commence à bien faire !
    - Kurt je t’en prie ! »
    Il ouvrit la porte. L’autre ne bougea pas. On aurait dit qu’il le jaugeait.


    Duel
    Il ne faut pas que je me découvre. Mais comment faire ? Ma réaction doit lui apparaître comme normale… Mais il me rend nerveux et cela risque de se sentir. La présence de Veya à mes côtés doit logiquement brouiller les pistes. Cela a réussi avec Loki, il faut que cela fonctionne avec lui aussi !
    Ce n’est pas Gohnn… Il ne peut pas aussi bien me ressentir que lui.
    « Bon écoutez, monsieur…
    - Trêves de balivernes. Je t’ai reconnu. »
    Il a réussi ? Ou il me teste ?
    « Et bien moi monsieur je ne vous reconnais pas, et je voudrais que vous cessiez de chercher à nous effrayer, j’ignore pour quelle raison !
    - Cesse de te ridiculiser. Tu joue mal ton rôle.
    - Et vous cessez de me chercher compris ? Vous ne me faites pas peur !
    - Je l’espère bien. Quoique. Tu as tellement dégénéré depuis que je ne t’ai plus revu. Ton rôle te serait-il monté à la tête au point que tu ne saches plus saluer une vieille connaissance quand elle se présente, Heimdall ? »

    Derrière moi, Ingrid, dont je sentais le cœur battre en chamade, ne put réprimer un cri de stupeur.
    « Désolé de venir ainsi gâcher les beaux plans de cet imbécile de Nidra, belle Veya »
    Elle hoquetait sous le coup de la surprise, tandis qu’il lui parlait par-dessus mon épaule.
    « J’ai rapidement su que tu étais venu nous rendre visite. Je t’ai surveillé, discrètement, de loin, pendant sept longues années. Je n’en ai rien dit aux autres. Ils se croyaient si malins !
    Mais je n’ai jamais aimé toutes ces cachotteries compliquées. Je suis un guerrier, pas un beau parleur. Alors réagis toi aussi en guerrier, veux-tu ? Toute cette histoire m’impatiente, finissons-en !
    - Tu veux donc que nous nous battions ici Ragnar ?
    - Pour se mettre en appétit mon cher ! »

    Sur ces mots, il me projeta violemment la tête contre la vitre du couloir. Le choc fut assez brutal pour que la vitre se décrocha d’un bloc et aille s’envoler dans la nuit, une rafale de neige pénétrant dans le train. Je rétablis mon équilibre et lui décocha un violent coup à la mâchoire, mais c’est à peine s’il bougea la tête. Il me précipita dans le sas où se trouvait Ingrid.
    Cette dernière actionna le signal d’alarme, et le train freina brutalement, entraînant dans son mouvement Ragnar à l’intérieur du couloir.


    Dans la nuit
    « Saute ! »
    Le train n’avait pas encore tout à fait décéléré, mais je ne me fis pas prier. Complètement sous le choc des événements, je sentis à peine mon corps s’écraser lourdement dans la neige en contrebas. Je vis que Kurt… Ou Heimdall je ne sais plus trop, sembla être retenu encore un instant, mais apparemment il put reprendre le dessus sur son adversaire et parvint aussi à sauter. Nous nous rejoignâmes et il m’attira à l’abri vers la forêt de sapins qui longeait la voie.
    Un coup de sifflet retentit et nous fit nous retourner pour apercevoir Ragnar qui sautait à son tour du wagon, comme un diable sortant de sa boîte. Il bouscula un contrôleur qui venait à sa rencontre et se précipita à notre poursuite.
    La course était haletante mais au moins l’écran des branchages nous protégeaient de la neige qui continuait à tomber drue.
    On pouvait entendre dans la nuit les imprécations du colosse qui ne lâchait pas un pouce de terrain.

    Quand enfin nous débouchâmes sur une clairière, Heimdall s’arrêta et regarda en arrière. Estimant avoir assez de temps, il prononça une formule dans une langue incompréhensible et qui pourtant me rappelait vaguement quelque chose.
    Il y eut un vague tremblement, et le tronc d’un sapin à proximité parut littéralement exploser. A l’intérieur, des reflets d’or.
    Heimdall eut juste le temps de s’emparer de son épée invoquée par sa rune, mais ne put enfiler ni son casque ni son armure.
    Ragnar déboucha à ce moment-là dans la clairière.
    « Ah ! Voilà qui est déjà mieux ! Vas-y, ne te gêne pas, récupère ta tenue. Je vais faire de même. Il ne sera pas dit que je t’aurais tué nu et désarmé ! »
    Ragnar avança la main et prononça à son tour une rune incantatoire. La neige à l’endroit qu’il désignait parut s’embraser intérieurement, et ses armes apparurent.
    Les deux combattants s’équipèrent, puis se toisèrent un moment, se tournant l’un autour de l’autre, l’épée vers le bas. La neige s’était arrêtée, comme en attente.


    Le geis
    « Aujourd’hui, Ragnar, je vais remplir mon obligation envers le sort de Magran !
    - Tu n’es pas sur ton île ici. Nous sommes à force égale cette fois ! »
    Les épées tournoyèrent et s’entrechoquèrent dans un bruit terrible. Les deux adversaires subirent le choc, inébranlables. On sentait la chaleur de leur haine respective, au point que la neige fondait autour d’eux.
    Les coups succédèrent aux coups, dans des mouvements d’une grâce et d’une violence infinie. Parfois, on ne pouvait les compter tant ils s’enchaînaient, parfois au contraire, les deux ennemis cessaient les coups et semblaient danser comme deux loups se faisant face.
    Ingrid ne pouvait s’empêcher d’être impressionnée de ces attitudes. Ce combat à mort était, se dit-elle malgré elle, de toute beauté. Et aucun des deux ne semblait pouvoir prendre l’avantage sur l’autre.

    Le combat durait depuis un temps fort long, quand soudain retentit un bruit de moteur dans la forêt. Les deux combattants s’immobilisèrent et scrutèrent les bois, tout en gardant l’œil l’un sur l’autre.
    Deux motoneiges arrivèrent de l’autre côté de la trouée, et l’un des agents braqua un fusil-mitrailleur en direction des deux guerriers. Mais il eut à peine le temps de faire sa sommation que Ragnar lançait une autre rune sonore.
    Trois Jitls sortirent d’entre les arbres, ou bien des arbres eux-mêmes, cela reste difficile à dire, et se précipitèrent sur les deux conducteurs.
    Le carnage fut presque instantané. Ingrid ne put que fermer les yeux. Puis les quatre ennemis firent face à Heimdall.
    « Occupez-vous de la fille vous autres ! » lança Ragnar à ses suivants, tout en se précipitant sur le Gardien. Mais au même moment un loup blanc de taille formidable sauta sur lui et le fit rouler à terre. Réagissant aussitôt, Heimdall bondit sur les Jitls qu’il réduisit en trois moulinets de son épée à néant.
    Sous le choc, Ragnar avait été légèrement commotionné et Ounri, impressionnant dans son aspect réel, eut le temps de leur adresser la parole.
    « Fuyez jusqu’au Passage ! C’est aujourd’hui que commence Samain ! Fuyez le plus vite possible et rentrez aux Portes ! »
    Il se retourna, menaçant, vers Ragnar qui se relevait.
    « Les motoneiges ! »
    Ingrid avait vu au plus juste et tous deux filèrent dans les bois, Heimdall un peu gêné par sa grande épée. Des hurlements de rage indicibles parvinrent encore longtemps jusqu’à eux, malgré le bruit des moteurs.

    Cela approche...

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  • Sous le charmeLes Portes... partie 7
    Ingrid atteignit la petite ville alors que tombait le soir. Elle habitait un joli quartier aux constructions en bois peint de couleurs claires et aux toits de tuiles rouges. Il avait résisté vaille que vaille à la folie « urbanisatrice » des années noires de la crise, et quand il fut nettoyé définitivement de ses graffitis, lorsque enfin la folie s’éloigna des hommes, il fut comme un témoin ultime de ce qui avait subsisté de beau, mais aussi comme l’annonce de ce qui allait pouvoir être désormais.

    Ses pas résonnaient sur les pavés de la légère montée, alors qu’elle poussait son vélo vers sa porte. L’éclairage, de petites lanternes imitant les vieux lampadaires à gaz était doux, et une petite brise soufflait dans les arbres plantés çà et là.

    Elle vit une silhouette qui semblait l’attendre près de la fontaine. L’homme l’interpella.
    « Mademoiselle !
    - Que voulez-vous ?
    - Vous ne me reconnaissez peut-être pas : nous nous sommes vus tout à l’heure en forêt !
    - Mais comment se fait-il…
    - Et bien, ma foi, si c’est bien ici que vous habitez », il montrait l’entrée du petit immeuble, « il se trouve que nous sommes voisins. J’ai pris une chambre dans l’hôtel en face, et je profitais un peu de cette belle soirée avant d’aller dîner. Vous allez mieux j’espère ?
    - Mieux ? Oh oui, bien sûr merci. Je… Je ne m’attendais pas à vous revoir !
    - Moi non plus à vrai dire. Mais je suis bien aise de vous rencontrer ici. Oserais-je profiter du hasard ? Voudriez-vous m’accompagner en ville pour trouver un restaurant sympathique ? A moins que vous ne soyez attendue bien sûr ? »
    Elle avait du mal à répondre à toutes ces questions. Mais l’invitation était vraiment intéressante… Pour une fois que quelqu’un… Bon sang… Mais Ounri ?
    « Je comprends que vous pourriez mal interpréter ma proposition. Mais je ne suis arrivé ici que ce matin, et je ne connais pas encore les lieux ni les gens. Vous pourriez me servir de guide ?
    - Et bien… Ecoutez, oui pourquoi pas ? Je vous demanderais juste de revenir m’attendre ici dans une petite demi-heure, le temps que je me change ! »


    La langue de miel
    Dans la ruelle un peu plus haut, un chien blanc passa rapidement. Il se dirigeait vers la demeure d’Ingrid, mais fut bloqué par un homme sorti de l’ombre, une canne à pommeau de loup à la main.
    « Salut à toi, protecteur assigné de la Norvège, Ounri-le-Loup-Blanc.
    - Je ne m’étonne plus de te rencontrer Loki le Subversif. Ou bien devrais-je dire Nidra ?
    - Tu as sur tes crocs le sang d’un compagnon fidèle. Je ne sais si je dois te maudire pour cela, ou si je dois exulter de voir combien tes plans sont lamentablement en train de s’effondrer…
    - Ote-toi de mon chemin veux-tu ? Je ne suis pas du genre à succomber à tes beaux discours de serpent, et tu n’es pas de taille à lutter contre moi, tu le sais.
    - Mais je n’ai aucunement l’intention de t’empêcher de rejoindre la jolie petite In-grid. »
    Il appuyait sur la première syllabe d’une façon soutenue.
    « Car tel désormais sera son nom. Un beau nom qui en effacera un plus ancien. Que veux-tu donc faire ? Lui dire que c’est ma faute ? Que c’est moi qui ait repéré ce brave garçon, qui est jaugé de son charme naturel et de ses qualités, pour l’envoyer entre ses bras ? Mais mon pauvre, vieil ami ! C’est l’Amour qui est à l’œuvre maintenant, et toi, avec ton cœur de glace, tu voudrais séparer ces deux tourtereaux ?
    - C’est Loki qui parle d’amour maintenant ? »
    La réplique était piquante, mais Ounri se rendait compte que Loki avait vicié la situation et la rendait inextricable.

    « Tu voudrais la forcer à abandonner ce qu’elle a tant espéré tout le long de sa frêle vie ? Mais elle est bien jeune encore, et son âme romantique en ce moment même s’enflamme pour ce bel inconnu.
    - Elle ne renoncera pas de sitôt à tout ce qu’elle vient de découvrir. Elle reste une Déesse, ne l’oublie pas ! Elle saura retrouver où est son vrai devoir et son véritable Amour.
    - Oh, toi tu ne l’oublieras pas, Ounri. Ou bien moi, si je le veux. Mais Ingrid est d’abord une mortelle. Et même si tu lui as fais entrevoir une quelconque réalité de ton monde, perdu elle ne sait où, elle se raccrochera à la réalité, la sienne, la seule qui soit vraie à ses yeux.
    D’ailleurs cela n’est pas très honnête de dévoiler ainsi nos Mystères à de simples mortels… Même moi, qui suis resté proche d’Ingrid – plus que toi en définitive, Ounri -, je n’en ai pas profité. Et l’on dit que c’est nous qui sommes le Mal ! »

    Quoique ai affirmé crânement Ounri, il savait que le découragement qu’il sentait poindre en lui résultait de l’action érosive de son adversaire. Loki avait été puissant et très écouté durant les décennies noires. Sa faculté à faire appel aux scrupules et à la seule raison immédiate avait fait des ravages et manqué de peu de provoquer une terrible guerre civile à l’échelle du monde entier.
    Et même si aujourd’hui, lui et les siens, renvoyés à la garde du monde des humains grâce au retour de Heimdall, avaient isolé ce véritable démon, il restait terrifiant d’efficacité.


    Tête-à-tête
    Ingrid s’était préparée en chantonnant devant sa glace. Elle avait réarrangé ses longues nattes fauves et souriait comme si l’inconnu était déjà devant elle. Bien sûr la pensée d’Ounri lui revenait à l’esprit, mais… Pour une fois, juste un soir !
    Elle sortit alors que se levait une claire pleine lune. En face l’hôtel était tranquille, et elle ne vit d’abord personne ce qui l’inquiéta un peu. Mais l’homme bougea sous l’ombre d’un arbre auquel il était adossé.
    Il ne put s’empêcher d’être troublé par le sourire transfiguré d’Ingrid lorsqu’elle le vit.
    « Je ne vous ai toujours pas demandé votre nom ? Et d’ailleurs vous ne connaissez pas le mien !
    - Si, si. Vous vous nommez Ingrid. Un joli nom d’ancienne tradition. »
    Elle fut soudain un peu angoissée, se demandant comment il pouvait savoir. Il remarqua son air soucieux.
    « Je n’ai pas pu m’empêcher de me renseigner près de l’hôtelier ! »
    Ils éclatèrent tous les deux de rire.
    « Je me nomme Kurt. Moi aussi je suis du pays. Mais pas du coin.
    - Et bien Kurt », elle lui tendit son bras, « que diriez-vous de descendre vers le port chercher une bonne auberge ? »
    Ils s’en allèrent donc, riants et heureux, bras dessus, bras dessous.

    Ounri, qui était parvenu non sans mal à se dégager de la conversation ensorcelée de son ennemi, arriva juste pour les apercevoir, et sut qu’une fois de plus, Loki avait gagné juste ce qu’il fallait de temps pour faire tout chavirer. Il n’avait même plus besoin d’agir, le charme agissait. Un charme auquel tant les démons que les dieux ne pouvaient rien, sinon en accepter les conséquences, même les plus terribles.
    Comment Veya avait-elle ainsi pu oublier aussi facilement son amour pour Heimdall ?


    Une visite
    Ounri senti une Présence derrière lui. Quelqu’un qui n’était pas simplement humain… Mais qui ne paraissait pas dégager l’aura mauvaise de Loki.
    Il se retourna, et vit une belle femme aux cheveux noirs de jais, enveloppée dans un manteau qui la couvrait jusqu’aux pieds.
    « Vous Déesse ? C’est donc vous qui avez prêté assistance à l’infâme plan de nos ennemis ?
    - De tes ennemis, Ounri. N’oublie pas que je ne prends jamais parti. Ni pour un camp, ni pour l’autre.
    - Mais enfin, sauf tout le respect que je vous dois, vous pour qui l’Amour est sacré, que faites-vous de ce qui attachait le Gardien à sa Compagne ? »
    Elle se contenta de soulever un sourcil noir.
    « Mais je m’en occupe Ounri, je m’en occupe… »

    Elle s’abaissa avec délicatesse et lui caressa la tête.
    « Ne t’inquiète donc pas tant fidèle Serviteur. Loki peut se croire vainqueur. Pourquoi lui refuser sa joie ? Le temps de la déconvenue frappera cruellement pour lui. Alors peut-être qu’il sentira combien l’absence de son fidèle Gohnn lui manque, malgré toute sa cruauté et sa haine. Et il sera alors bien pitoyable et seul, abandonné dans ce monde qui n’est pas le sien. Aurais-tu oublié toute pitié Ounri ? Aurais-tu oublié que les pires serviteurs du Néant sont aussi des créatures douées de sentiments ?
    Aussi, elles ont droit à ma pitié.
    - Alors que dois-je faire ?
    - Continue ce que tu as à faire. Surveille-les. Mais ne t’inquiète en rien. Je veille. Il se trouve qu’en ce moment, mes intérêts sont aussi les tiens, et je pense que la séparation de Heimdall et de Veya a plus qu’assez duré. Mais un geis demeure en suspension, et il faut qu’il s’accomplisse. »

    ... Pas trop lourd à force j'espère ???


    Et en prime une petite photo trouvée sur le Net de la vieille ville de Stavanger, en Norvège, où je n'ai jamais eu l'honneur de me rendre mais qui m'avait fortement inspiré pour le décor.


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