• Les Portes... partie 7

    Sous le charmeLes Portes... partie 7
    Ingrid atteignit la petite ville alors que tombait le soir. Elle habitait un joli quartier aux constructions en bois peint de couleurs claires et aux toits de tuiles rouges. Il avait résisté vaille que vaille à la folie « urbanisatrice » des années noires de la crise, et quand il fut nettoyé définitivement de ses graffitis, lorsque enfin la folie s’éloigna des hommes, il fut comme un témoin ultime de ce qui avait subsisté de beau, mais aussi comme l’annonce de ce qui allait pouvoir être désormais.

    Ses pas résonnaient sur les pavés de la légère montée, alors qu’elle poussait son vélo vers sa porte. L’éclairage, de petites lanternes imitant les vieux lampadaires à gaz était doux, et une petite brise soufflait dans les arbres plantés çà et là.

    Elle vit une silhouette qui semblait l’attendre près de la fontaine. L’homme l’interpella.
    « Mademoiselle !
    - Que voulez-vous ?
    - Vous ne me reconnaissez peut-être pas : nous nous sommes vus tout à l’heure en forêt !
    - Mais comment se fait-il…
    - Et bien, ma foi, si c’est bien ici que vous habitez », il montrait l’entrée du petit immeuble, « il se trouve que nous sommes voisins. J’ai pris une chambre dans l’hôtel en face, et je profitais un peu de cette belle soirée avant d’aller dîner. Vous allez mieux j’espère ?
    - Mieux ? Oh oui, bien sûr merci. Je… Je ne m’attendais pas à vous revoir !
    - Moi non plus à vrai dire. Mais je suis bien aise de vous rencontrer ici. Oserais-je profiter du hasard ? Voudriez-vous m’accompagner en ville pour trouver un restaurant sympathique ? A moins que vous ne soyez attendue bien sûr ? »
    Elle avait du mal à répondre à toutes ces questions. Mais l’invitation était vraiment intéressante… Pour une fois que quelqu’un… Bon sang… Mais Ounri ?
    « Je comprends que vous pourriez mal interpréter ma proposition. Mais je ne suis arrivé ici que ce matin, et je ne connais pas encore les lieux ni les gens. Vous pourriez me servir de guide ?
    - Et bien… Ecoutez, oui pourquoi pas ? Je vous demanderais juste de revenir m’attendre ici dans une petite demi-heure, le temps que je me change ! »


    La langue de miel
    Dans la ruelle un peu plus haut, un chien blanc passa rapidement. Il se dirigeait vers la demeure d’Ingrid, mais fut bloqué par un homme sorti de l’ombre, une canne à pommeau de loup à la main.
    « Salut à toi, protecteur assigné de la Norvège, Ounri-le-Loup-Blanc.
    - Je ne m’étonne plus de te rencontrer Loki le Subversif. Ou bien devrais-je dire Nidra ?
    - Tu as sur tes crocs le sang d’un compagnon fidèle. Je ne sais si je dois te maudire pour cela, ou si je dois exulter de voir combien tes plans sont lamentablement en train de s’effondrer…
    - Ote-toi de mon chemin veux-tu ? Je ne suis pas du genre à succomber à tes beaux discours de serpent, et tu n’es pas de taille à lutter contre moi, tu le sais.
    - Mais je n’ai aucunement l’intention de t’empêcher de rejoindre la jolie petite In-grid. »
    Il appuyait sur la première syllabe d’une façon soutenue.
    « Car tel désormais sera son nom. Un beau nom qui en effacera un plus ancien. Que veux-tu donc faire ? Lui dire que c’est ma faute ? Que c’est moi qui ait repéré ce brave garçon, qui est jaugé de son charme naturel et de ses qualités, pour l’envoyer entre ses bras ? Mais mon pauvre, vieil ami ! C’est l’Amour qui est à l’œuvre maintenant, et toi, avec ton cœur de glace, tu voudrais séparer ces deux tourtereaux ?
    - C’est Loki qui parle d’amour maintenant ? »
    La réplique était piquante, mais Ounri se rendait compte que Loki avait vicié la situation et la rendait inextricable.

    « Tu voudrais la forcer à abandonner ce qu’elle a tant espéré tout le long de sa frêle vie ? Mais elle est bien jeune encore, et son âme romantique en ce moment même s’enflamme pour ce bel inconnu.
    - Elle ne renoncera pas de sitôt à tout ce qu’elle vient de découvrir. Elle reste une Déesse, ne l’oublie pas ! Elle saura retrouver où est son vrai devoir et son véritable Amour.
    - Oh, toi tu ne l’oublieras pas, Ounri. Ou bien moi, si je le veux. Mais Ingrid est d’abord une mortelle. Et même si tu lui as fais entrevoir une quelconque réalité de ton monde, perdu elle ne sait où, elle se raccrochera à la réalité, la sienne, la seule qui soit vraie à ses yeux.
    D’ailleurs cela n’est pas très honnête de dévoiler ainsi nos Mystères à de simples mortels… Même moi, qui suis resté proche d’Ingrid – plus que toi en définitive, Ounri -, je n’en ai pas profité. Et l’on dit que c’est nous qui sommes le Mal ! »

    Quoique ai affirmé crânement Ounri, il savait que le découragement qu’il sentait poindre en lui résultait de l’action érosive de son adversaire. Loki avait été puissant et très écouté durant les décennies noires. Sa faculté à faire appel aux scrupules et à la seule raison immédiate avait fait des ravages et manqué de peu de provoquer une terrible guerre civile à l’échelle du monde entier.
    Et même si aujourd’hui, lui et les siens, renvoyés à la garde du monde des humains grâce au retour de Heimdall, avaient isolé ce véritable démon, il restait terrifiant d’efficacité.


    Tête-à-tête
    Ingrid s’était préparée en chantonnant devant sa glace. Elle avait réarrangé ses longues nattes fauves et souriait comme si l’inconnu était déjà devant elle. Bien sûr la pensée d’Ounri lui revenait à l’esprit, mais… Pour une fois, juste un soir !
    Elle sortit alors que se levait une claire pleine lune. En face l’hôtel était tranquille, et elle ne vit d’abord personne ce qui l’inquiéta un peu. Mais l’homme bougea sous l’ombre d’un arbre auquel il était adossé.
    Il ne put s’empêcher d’être troublé par le sourire transfiguré d’Ingrid lorsqu’elle le vit.
    « Je ne vous ai toujours pas demandé votre nom ? Et d’ailleurs vous ne connaissez pas le mien !
    - Si, si. Vous vous nommez Ingrid. Un joli nom d’ancienne tradition. »
    Elle fut soudain un peu angoissée, se demandant comment il pouvait savoir. Il remarqua son air soucieux.
    « Je n’ai pas pu m’empêcher de me renseigner près de l’hôtelier ! »
    Ils éclatèrent tous les deux de rire.
    « Je me nomme Kurt. Moi aussi je suis du pays. Mais pas du coin.
    - Et bien Kurt », elle lui tendit son bras, « que diriez-vous de descendre vers le port chercher une bonne auberge ? »
    Ils s’en allèrent donc, riants et heureux, bras dessus, bras dessous.

    Ounri, qui était parvenu non sans mal à se dégager de la conversation ensorcelée de son ennemi, arriva juste pour les apercevoir, et sut qu’une fois de plus, Loki avait gagné juste ce qu’il fallait de temps pour faire tout chavirer. Il n’avait même plus besoin d’agir, le charme agissait. Un charme auquel tant les démons que les dieux ne pouvaient rien, sinon en accepter les conséquences, même les plus terribles.
    Comment Veya avait-elle ainsi pu oublier aussi facilement son amour pour Heimdall ?


    Une visite
    Ounri senti une Présence derrière lui. Quelqu’un qui n’était pas simplement humain… Mais qui ne paraissait pas dégager l’aura mauvaise de Loki.
    Il se retourna, et vit une belle femme aux cheveux noirs de jais, enveloppée dans un manteau qui la couvrait jusqu’aux pieds.
    « Vous Déesse ? C’est donc vous qui avez prêté assistance à l’infâme plan de nos ennemis ?
    - De tes ennemis, Ounri. N’oublie pas que je ne prends jamais parti. Ni pour un camp, ni pour l’autre.
    - Mais enfin, sauf tout le respect que je vous dois, vous pour qui l’Amour est sacré, que faites-vous de ce qui attachait le Gardien à sa Compagne ? »
    Elle se contenta de soulever un sourcil noir.
    « Mais je m’en occupe Ounri, je m’en occupe… »

    Elle s’abaissa avec délicatesse et lui caressa la tête.
    « Ne t’inquiète donc pas tant fidèle Serviteur. Loki peut se croire vainqueur. Pourquoi lui refuser sa joie ? Le temps de la déconvenue frappera cruellement pour lui. Alors peut-être qu’il sentira combien l’absence de son fidèle Gohnn lui manque, malgré toute sa cruauté et sa haine. Et il sera alors bien pitoyable et seul, abandonné dans ce monde qui n’est pas le sien. Aurais-tu oublié toute pitié Ounri ? Aurais-tu oublié que les pires serviteurs du Néant sont aussi des créatures douées de sentiments ?
    Aussi, elles ont droit à ma pitié.
    - Alors que dois-je faire ?
    - Continue ce que tu as à faire. Surveille-les. Mais ne t’inquiète en rien. Je veille. Il se trouve qu’en ce moment, mes intérêts sont aussi les tiens, et je pense que la séparation de Heimdall et de Veya a plus qu’assez duré. Mais un geis demeure en suspension, et il faut qu’il s’accomplisse. »

    ... Pas trop lourd à force j'espère ???


    Et en prime une petite photo trouvée sur le Net de la vieille ville de Stavanger, en Norvège, où je n'ai jamais eu l'honneur de me rendre mais qui m'avait fortement inspiré pour le décor.


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  • Commentaires

    1
    Mercredi 11 Février 2009 à 21:12
    Oh non, ni lourd, ni lassant!
    Bien au contraire. Plus j'avance et plus je vois l'échéance se profiler, plus je ressens hâte (de tout savoir) et tristesse d'approcher d'une inéluctable fin, comme lorsque l'on dévore un roman et qu'on le pose enfin, mêlant soulagement, satisfaction mais aussi comme un douloureux sentiment d'abandon.
    C'est génial, j'adore vraiment cette histoire, elle m'évoque une foule d'images et d'atmosphères dans lesquelles j'adore à me laisser entraîner.
    Quand à l'illustration, elle est fort bien choisie!
    2
    Numéro de série 23 Profil de Numéro de série 23
    Jeudi 12 Février 2009 à 13:38
    Je comprends ce que tu veux dire à propos d'une inéluctable fin, et c'est assez (en fait très...) flatteur, car c'est ce que l'on ressent à la lecture d'un bon livre qui va sur sa fin.

    C'est un peu pour cela aussi que je coupe en morceau l'histoire, pour garder l'intérêt en remettant la suite à plus tard, sans doute suis-je un peu injuste de demander à chaque fois un commentaire...

    Mais cela me permet de revivre le récit à travers les yeux de quelqu'un d'autre, et je suis bien content que tu en sois la pionnière, constatant combien tu es proche de l'histoire !

    Par contre je n'aurais pas le temps de mettre de suite en ligne la partie 8... Ce sera fait dès que possible, à bientôt !
    3
    Mardi 17 Février 2009 à 22:17
    Bonsoir l'ami
    je suis désolée, j'ai été quelque peu absente des ondes ces derniers jours. Mais me revoilà, et je constate que la suite est là, quelle aubaine :)
    Je t'en remercie ^^
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