• Hiver : partie 2

    Au détour du chemin siégeait un grand rocher. Comme une dent pointue au milieu des sapins, il se dressait grisâtre, masse gigantesque.
    Planté dans les fougères et autres champignons, sa surface, curieusement, semblait douce au toucher.
    Baignant par sa base dans la moiteur propre aux sous-bois, il offrait au soleil une pente, où pouvait s’ébattre l'ombre des résineux. Une source sourdait à ses pieds, jetant sur un roc plus petit sa froide pureté, se perdant ensuite dans la mousse.
    Des mains blanches, longues et fines, sans tressaillir, formèrent une coupe et recueillirent le précieux élément ; puis elles s'élevèrent, se portant à des lèvres délicates qui en burent le limpide contenu.

    Les mains redescendues, des manches soyeuses retombèrent par-dessus. Et de la bouche ouverte un chant profond et doux s'envola vers le ciel, comme jamais brise ne fit. Quand enfin il se tut, aussi mystérieusement qu'a commencé un rêve, la Reine se tourna et regarda ses gens.
    «Qui connaît ce grand mal dont l'emprise s'étend ? Quel est ce voyageur qui marche avec la mort ? Pourquoi mes arbres pleurent, et la terre soupire-t-elle ? Partout il faut guérir, étendre la main, ramener la vie ! Qui osera chercher le sombre visiteur ? Qui enfin croisera ses yeux pleins de colère ? Il suffit de suivre ses traces, blessures béantes ouvertes dans mon cœur, mais qui aura le courage d'une telle rencontre ? »

    Il y avait un Satyre qui crut pouvoir le faire. L'élégant fit courbette et salua sa Reine, et puis d'un pas léger marcha vers son destin, rythmant sa promenade en jouant de sa flûte. Il suivit le sentier descendant jusqu'au val, puis de ses pieds de bouc sauta de pierre en pierre, agile dans le tumulte du torrent qui grondait. Il savait que les Nymphes avait vu le vieil homme, à l'endroit où les eaux s'étendent et s'assagissent.
    Il atteignit la clairière mais crut s'être mépris : les arbres étaient tout noirs et l'herbe disparue.
    La piste était facile, elle descendait toujours vers l'aval du ruisseau, là où pleurent les saules où il devient rivière.
    La course était aisée, mais le galant voyait s’évanouir toute son assurance, en voyant les méfaits tout autour de lui. Enfin il s'arrêta, s'assit sur un vieux tronc couché dans la poussière, et pour s'encourager joua encore un peu.
    A la troisième note un corbeau arriva, le Satyre pris de peur, laissa son instrument tomber et demeura immobile.

    Un froid noir comme le vide s'empara de son corps, ses jambes prirent racine. Son sang se figeait dans ses veines : et pour cause, il gelait ! Quand il tourna sa tête, dans un dernier effort, il vit le vieux barbu et puis cela fut tout.
    Il lui sembla pourtant, un peu, juste auparavant, qu'engoncés dans ce masque ridé, presque une écorce, les yeux étaient las attendant une chose ; puis comme deux feuilles mortes les paupières s'abaissèrent tandis que le témoin sans un cri s'effaça.

    Le soleil lentement acheva sa journée, dispersant sa lumière aux faîtes des grands arbres, au loin sur l'horizon, minuscules buissons. Les ombres s'allongèrent dans la couleur orange que prend le crépuscule, inexorablement les teintes s'obscurcirent. Là-haut sur les alpages, un vent fouettant de vie avertit les chamois que s'éveille la nuit.
    Quand enfin le regard n'eut plus à s'abriter de ce souffle mordant, les étoiles une à une apparurent dans le calme revenu.
    Leur répondait à terre un feu revigorant. Mais ses braises n'éloignaient pas le froid qui prenait les cœurs, et l'assistance à grand'peine tentait de s'y réchauffer.

    De solides bergers avaient entendu dire qu'un doigt sombre et glacé pointait vers leurs troupeaux.
    «Le Vieux a quitté le fleuve, l'a pris un affluent. Il allait vers la mer, c'était tout aussi bien, maintenant il remonte et atteint les collines. Qu'allons-nous faire s'il arrive jusqu'à nous ? Faudra-t-il descendre les bêtes à couvert, de l'autre côté des montagnes ?
    - Et qu'est-ce qui nous dit que ce n'est pas vers là qu'il se dirige ? Partout où il passe, on dit que tout s'amenuise... et disparaît. La terre est pourrie, l'herbe brûlée. La Reine - que sa bénédiction toujours nous accompagne - a beau reprendre là où la toile s'est déchirée, le monstre un autre endroit va dénicher et mettre à sac!
    - Nous avons nos chiens, nos couteaux et nos bras. Défendons les pâtures et rejetons ce fléau !
    - Il dit vrai ! Armons-nous de nos torches, prenons tous nos bâtons, et descendons dès que sortira la lune. »

    A la lumière blafarde miroir du soleil, d'une lune bien entière, les plateaux s'étendaient révélant leurs limites.
    La troupe laissait derrière l'ombre de nombreuses crêtes tandis que par-devant, quelque part tout au bout, l'alpage descendait, parfois coupé de falaises.
    Les hommes de la montagne connaissaient leur domaine, le pas sûr et robuste, les torches à la main, accompagnant l'écho des aboiements des chiens.
    Ils allèrent, descendirent, atteignirent les premiers arbres. Mais là ils devinrent indécis. Sur les vastes hauteurs, à peine accidentées, la vue portait au loin ; mais ici les troncs noirs semblaient autant d'ennemis : au bout de quelques pas, on en vint à se dire que remettre au matin serait beaucoup plus sage. Il remontèrent donc, prirent un peu plus à droite, la descente est facile mais son contraire plus rude.

    Ils croisèrent un sentier, qu'ils ne reconnurent pas. Ils virent qu'il était large et sombre sous le rayon de lune, et sentirent une grande frayeur, telles des eaux folles, se répandre dans leurs poitrines.
    Le Terrible était probablement passé, et les attendait peut-être en haut de la pente. Et les moutons parqués, surveillés seulement par quelques-uns des plus jeunes, allaient lui offrir une occasion bien facile.
    Il leur fallait continuer à tout prix, vaincre leur peur et ressurgir sur le plateau.
    Quelques bêlements parvinrent, tandis qu'hurlait le vieux chien qu'ils avaient confié aux gardiens. Des cris encore, puis le lourd silence.

    Le chemin d'herbes sèches, aplaties comme par une harde immense de lourds animaux, conduisait les pasteurs qui cherchaient encore à se le nier, tout droit sur l'endroit qu'ils redoutaient le plus.


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  • Commentaires

    1
    Lundi 30 Novembre 2009 à 21:28
    C'est vrai qu'il y a certaines tournures de phrases qui ne sont pas très faciles, mais j'adore.
    Fais tout de même attention à ne pas trop salir l'image de Brana (les corbeaux) qui même si elle représente la guerre, elle est très juste et loyale. C'est aussi une déesse d'initiation. (Mythologie gauloise).
    2
    Numéro de série 23 Profil de Numéro de série 23
    Mardi 1er Décembre 2009 à 22:12
    Merci à toi de persévérer dans ta lecture !
    Je crois que tu te trompes, je ne "salis" pas les corbeaux, tu vas le comprendre en découvrant la suite. Chaque chose a droit à sa place (et puis il n'y a jamais de grand méchant absolu dans mes histoires !) .
    3
    Numéro de série 23 Profil de Numéro de série 23
    Mardi 1er Décembre 2009 à 22:21
    ...Au fait merci de persévérer malgré tes récents déboires informatiques !
    4
    Mardi 24 Février 2015 à 16:35

    Cette seconde partie est nettement plus agréable à lire que la toute première ! L'intrigue a mit du temps à se poser, voyons la suite !

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