• Entretien Confidentiel

    Au téléphone, la voix avait été chaude, assez grave mais avec des intonations féminines qui m’avaient, non pas mis mal à l’aise, mais troublé par leur étrangeté. Et cette non moins impénétrable présentation - Claude Séverac – ne m’en avait pas plus dit sur l’identité exacte de mon interlocuteur : devais-je l’appeler monsieur, ou madame ?
    Cette voix m’avait si bien ensorcelé pourtant, que j’éprouvais une certaine satisfaction à accepter le mystère, et une certaine impatience en attendant l’heure du rendez-vous.

    Le lieu était une librairie presque invisible au rez-de-chaussée d’un vieil immeuble au charme haussmanien surrané, dans une rue secondaire de la ville. Ce n’est qu’en ayant poussé la porte vitrée recouverte d’affiches que je pus m’assurer que la boutique était bien ouverte. En fait elle avait l’air beaucoup plus grande qu’elle ne le paraissait vu de l’extérieur, car des couloirs descendaient au niveau du sous-sol tandis qu’une mezzanine faisait le tour du vestibule.
    Je scrutais encore les tréfonds de la pièce éclairés de manière presque intime, cherchant quelqu’un, lorsque je sentis une présence que je n’avais pas aperçue vers ma droite, au-delà de la porte d’entrée que je n’avais pas encore refermée.
    Je manquais sursauter. C’était une personne indéfinissable, vêtue d’une élégante chemise carmin au reflets de soie, légèrement bouffante, et d’un pantalon à la coupe étroite et sombre.
    Son visage était fin, les traits taillés à coup de serpe, le menton étroit, les joues constellées de tâches de son. Les cheveux étaient coupés courts, en épi, d’une belle couleur orangée.
    « Vous venez sans doute pour l’entretien d’embauche ? »
    A n’en pas douter, c’était bien la même voix qui m’avait réveillé ce matin au téléphone. Sans pouvoir toujours identifier si j’avais affaire à un homme d’une certaine finesse ou bien à une femme très masculine, je fis oui de la tête et m’avançais pour lui serrer la main.
    « Bonjour (je passais vite pour éviter le madame / monsieur d’usage), oui c’est bien moi, Guillaume Chandler. Enchanté. »
    La main était tiède et douce, les doigts longs et raffinés.
    « De même. Je suis Claude Séverac. Si vous voulez bien me suivre jusqu’à mon bureau. »

    M’invitant de la main, Claude Séverac se tourna vers d’où il ( ?) était venu et marcha d’un pas vif, ses mocassins eux aussi indéfinissables résonnant dans la pièce. Mais tout à la fois la silhouette vue de dos et la démarche avaient quelque chose de forcément féminin. Ce petit jeu d’identification commençait à m’amuser beaucoup.
    Elle ( ?) débarrassa rapidement son bureau de tas de livres empilés dans un apparent désordre et me proposa de m’asseoir dans un fauteuil ministre qui avait l’air fort convenable. J’étais étonné du contraste entre sa tenue impeccable et le fouillis indescriptible qui régnait dans cette libraire. Tant mieux, si je suis embauché j’aurais l’occasion de dénicher des tas de choses intéressantes.
    Celle à qui je faisais maintenant face une fois assis n’en était pas la moindre. Claude, appelons ainsi cette personne, possédait un regard incroyablement clair et lumineux, de beaux grands yeux d’un ton entre le gris et le vert, rehaussés par de longs cils délicats. Ses sourcils roux orangés, qui s’épaississaient vers les tempes, lui donnait un air pourtant sévère.
    Je constatais avec une certaine satisfaction que ses joues et son menton étaient lisses et clairs, même si un très léger duvet reflétait parfois la lumière. Deux accroche-cœurs cachaient en partie ses oreilles. Elle toussota.
    « Pouvons-nous commencer monsieur Chandler ? »
    Sa voix profonde me tira de ma contemplation.
    « Euh, oui bien sûr, excusez-moi ! »
    Claude prit des feuilles que je reconnus comme étant le curriculum et la lettre que je lui avais envoyés il y a quelques jours seulement, après avoir trouvé cette annonce dans le journal.
    « Je vais aller droit au but. Ce n’est pas votre expérience professionnelle qui m’a fait sélectionner votre candidature. »

    Bon d’accord, c’était net en effet. Si j’avais encore des illusions quant à mes capacités à travailler en librairie, c’était bien fini.
    Claude regarda une fraction de seconde ma réaction par-dessus ses papiers. J’en oubliais aussitôt ma petite vexation.
    « Ce serait plutôt le ton de votre lettre de motivation. D’abord elle est bien écrite, dans un français agréable et recherché, et ne paraît pas sortir d’un moule à stéréotypes. »
    Je ne pouvais m’empêcher de sourire et de rougir de fierté. Pour une fois que mon style était remarqué par un employeur…
    « Je crois aussi qu’elle est d’une belle franchise, et que votre intérêt pour les livres n’est pas simulé. Vous êtes un gros lecteur ?
    - Euh, et bien… Cela dépend du type de lecture que vous entendez. Je lisais beaucoup de classiques quand j’étais au collège, j’ai lu pas mal d’ouvrages de science-fiction et de fantastique après mon adolescence, mais aujourd’hui je lis essentiellement des romans historiques ou des biographies.

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