• Les Portes... partie 8

    Le train
    Les journées suivantes furent comme un rêve pour Kurt et Ingrid. On aurait dit que quelqu’un les protégeait de toutes choses déconcertantes. Enfin Kurt dut rentrer chez lui. C’était le week-end, il devait prendre le train de nuit, et Ingrid avait pris quelques jours pour pouvoir l’accompagner. Elle avait hâte de voir la petite maison sur le bord de la mer qu’il partageait avec sa sœur, quelque part à l’entrée d’un fjord plus au nord.

    Bien que c’était à peine l’automne, la neige tombait plus drue au fur et à mesure que le train montait vers le septentrion. Ils étaient seuls dans un compartiment. Le train fit une halte dans une gare perdue dans la montagne, et l’Ombre pénétra à l’intérieur.

    Ingrid se sentait nerveuse. Kurt paraissait de même. Des pas lourds se firent entendre dans le couloir. La porte s’ouvrit. Un homme grand et large, à la face large terminée par une barbe en pointe et aux cheveux longs, entra dans un étonnant silence à l’intérieur. Il s’assit en les regardant de dessous ses sourcils, et ne dit mot. Il avait baissé la tête, mais on sentait son regard percer derrière ses cheveux.
    Ingrid avait senti un frisson lui remonter l’échine. Kurt essaya de lui sourire, mais il était clair qu’il avait de plus en plus de mal à garder son calme.

    Au bout d’un long moment qui sembla aussi pesant que l’éternité, il la prit par la main et tous deux sortirent, en prenant soin de ne pas même effleurer les genoux de l’étranger.
    « Je n’aime pas cet homme, Kurt. Je ne sais pas pourquoi mais je le redoute.
    - Tu as raison. A moi non plus il ne revient pas. »
    Ils étaient sortis à l’extrémité du wagon, qui paraissait vide.
    « Je sais bien que je vais te paraître ridicule, mais… Je n’ai pas envie de retourner dans notre compartiment. Même…
    - Quoi ? N’hésite pas, dis-moi tout !
    - C’est fou… Mais je voudrais qu’on descende à la prochaine gare.
    - Et nos affaires ?
    - Tu as tes papiers avec toi, et moi aussi. Au diable les affaires. Le service du train les retrouvera toujours. Si nous les prenons… J’ai peur qu’il ne nous suive tu comprends ?
    - Je suis d’accord, nous descendrons dès que possible, mais pour l’instant il faudrait trouver un autre wagon où… »
    Il ne finit pas sa phrase. L’homme à la carrure impressionnante se tenait devant eux, derrière la porte d’accès du couloir.
    « Bon maintenant cela commence à bien faire !
    - Kurt je t’en prie ! »
    Il ouvrit la porte. L’autre ne bougea pas. On aurait dit qu’il le jaugeait.


    Duel
    Il ne faut pas que je me découvre. Mais comment faire ? Ma réaction doit lui apparaître comme normale… Mais il me rend nerveux et cela risque de se sentir. La présence de Veya à mes côtés doit logiquement brouiller les pistes. Cela a réussi avec Loki, il faut que cela fonctionne avec lui aussi !
    Ce n’est pas Gohnn… Il ne peut pas aussi bien me ressentir que lui.
    « Bon écoutez, monsieur…
    - Trêves de balivernes. Je t’ai reconnu. »
    Il a réussi ? Ou il me teste ?
    « Et bien moi monsieur je ne vous reconnais pas, et je voudrais que vous cessiez de chercher à nous effrayer, j’ignore pour quelle raison !
    - Cesse de te ridiculiser. Tu joue mal ton rôle.
    - Et vous cessez de me chercher compris ? Vous ne me faites pas peur !
    - Je l’espère bien. Quoique. Tu as tellement dégénéré depuis que je ne t’ai plus revu. Ton rôle te serait-il monté à la tête au point que tu ne saches plus saluer une vieille connaissance quand elle se présente, Heimdall ? »

    Derrière moi, Ingrid, dont je sentais le cœur battre en chamade, ne put réprimer un cri de stupeur.
    « Désolé de venir ainsi gâcher les beaux plans de cet imbécile de Nidra, belle Veya »
    Elle hoquetait sous le coup de la surprise, tandis qu’il lui parlait par-dessus mon épaule.
    « J’ai rapidement su que tu étais venu nous rendre visite. Je t’ai surveillé, discrètement, de loin, pendant sept longues années. Je n’en ai rien dit aux autres. Ils se croyaient si malins !
    Mais je n’ai jamais aimé toutes ces cachotteries compliquées. Je suis un guerrier, pas un beau parleur. Alors réagis toi aussi en guerrier, veux-tu ? Toute cette histoire m’impatiente, finissons-en !
    - Tu veux donc que nous nous battions ici Ragnar ?
    - Pour se mettre en appétit mon cher ! »

    Sur ces mots, il me projeta violemment la tête contre la vitre du couloir. Le choc fut assez brutal pour que la vitre se décrocha d’un bloc et aille s’envoler dans la nuit, une rafale de neige pénétrant dans le train. Je rétablis mon équilibre et lui décocha un violent coup à la mâchoire, mais c’est à peine s’il bougea la tête. Il me précipita dans le sas où se trouvait Ingrid.
    Cette dernière actionna le signal d’alarme, et le train freina brutalement, entraînant dans son mouvement Ragnar à l’intérieur du couloir.


    Dans la nuit
    « Saute ! »
    Le train n’avait pas encore tout à fait décéléré, mais je ne me fis pas prier. Complètement sous le choc des événements, je sentis à peine mon corps s’écraser lourdement dans la neige en contrebas. Je vis que Kurt… Ou Heimdall je ne sais plus trop, sembla être retenu encore un instant, mais apparemment il put reprendre le dessus sur son adversaire et parvint aussi à sauter. Nous nous rejoignâmes et il m’attira à l’abri vers la forêt de sapins qui longeait la voie.
    Un coup de sifflet retentit et nous fit nous retourner pour apercevoir Ragnar qui sautait à son tour du wagon, comme un diable sortant de sa boîte. Il bouscula un contrôleur qui venait à sa rencontre et se précipita à notre poursuite.
    La course était haletante mais au moins l’écran des branchages nous protégeaient de la neige qui continuait à tomber drue.
    On pouvait entendre dans la nuit les imprécations du colosse qui ne lâchait pas un pouce de terrain.

    Quand enfin nous débouchâmes sur une clairière, Heimdall s’arrêta et regarda en arrière. Estimant avoir assez de temps, il prononça une formule dans une langue incompréhensible et qui pourtant me rappelait vaguement quelque chose.
    Il y eut un vague tremblement, et le tronc d’un sapin à proximité parut littéralement exploser. A l’intérieur, des reflets d’or.
    Heimdall eut juste le temps de s’emparer de son épée invoquée par sa rune, mais ne put enfiler ni son casque ni son armure.
    Ragnar déboucha à ce moment-là dans la clairière.
    « Ah ! Voilà qui est déjà mieux ! Vas-y, ne te gêne pas, récupère ta tenue. Je vais faire de même. Il ne sera pas dit que je t’aurais tué nu et désarmé ! »
    Ragnar avança la main et prononça à son tour une rune incantatoire. La neige à l’endroit qu’il désignait parut s’embraser intérieurement, et ses armes apparurent.
    Les deux combattants s’équipèrent, puis se toisèrent un moment, se tournant l’un autour de l’autre, l’épée vers le bas. La neige s’était arrêtée, comme en attente.


    Le geis
    « Aujourd’hui, Ragnar, je vais remplir mon obligation envers le sort de Magran !
    - Tu n’es pas sur ton île ici. Nous sommes à force égale cette fois ! »
    Les épées tournoyèrent et s’entrechoquèrent dans un bruit terrible. Les deux adversaires subirent le choc, inébranlables. On sentait la chaleur de leur haine respective, au point que la neige fondait autour d’eux.
    Les coups succédèrent aux coups, dans des mouvements d’une grâce et d’une violence infinie. Parfois, on ne pouvait les compter tant ils s’enchaînaient, parfois au contraire, les deux ennemis cessaient les coups et semblaient danser comme deux loups se faisant face.
    Ingrid ne pouvait s’empêcher d’être impressionnée de ces attitudes. Ce combat à mort était, se dit-elle malgré elle, de toute beauté. Et aucun des deux ne semblait pouvoir prendre l’avantage sur l’autre.

    Le combat durait depuis un temps fort long, quand soudain retentit un bruit de moteur dans la forêt. Les deux combattants s’immobilisèrent et scrutèrent les bois, tout en gardant l’œil l’un sur l’autre.
    Deux motoneiges arrivèrent de l’autre côté de la trouée, et l’un des agents braqua un fusil-mitrailleur en direction des deux guerriers. Mais il eut à peine le temps de faire sa sommation que Ragnar lançait une autre rune sonore.
    Trois Jitls sortirent d’entre les arbres, ou bien des arbres eux-mêmes, cela reste difficile à dire, et se précipitèrent sur les deux conducteurs.
    Le carnage fut presque instantané. Ingrid ne put que fermer les yeux. Puis les quatre ennemis firent face à Heimdall.
    « Occupez-vous de la fille vous autres ! » lança Ragnar à ses suivants, tout en se précipitant sur le Gardien. Mais au même moment un loup blanc de taille formidable sauta sur lui et le fit rouler à terre. Réagissant aussitôt, Heimdall bondit sur les Jitls qu’il réduisit en trois moulinets de son épée à néant.
    Sous le choc, Ragnar avait été légèrement commotionné et Ounri, impressionnant dans son aspect réel, eut le temps de leur adresser la parole.
    « Fuyez jusqu’au Passage ! C’est aujourd’hui que commence Samain ! Fuyez le plus vite possible et rentrez aux Portes ! »
    Il se retourna, menaçant, vers Ragnar qui se relevait.
    « Les motoneiges ! »
    Ingrid avait vu au plus juste et tous deux filèrent dans les bois, Heimdall un peu gêné par sa grande épée. Des hurlements de rage indicibles parvinrent encore longtemps jusqu’à eux, malgré le bruit des moteurs.

    Cela approche...

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  • Commentaires

    1
    Mardi 17 Février 2009 à 23:56
    C'est superbe! De plus en plus épique, j'ai eu l'impression de devoir retenir mon souffle durant toute ma lecture. Tu as très bien su faire passer cette pression latente, presque palpable.
    Chapeau.
    Mini bémol (car je suis chiante :p), quelques fautes de passé simple lors des moments d'action, mais en même temps, je les conçois aisément, car c'est aussi le moment où l'auteur s'emporte frénétiquement sur sa plume, même faite de touches. :)
    En tous cas, je ne tiens plus en place! Comment tout cela va-t-il donc se finir?!
    2
    Numéro de série 23 Profil de Numéro de série 23
    Mercredi 18 Février 2009 à 18:48
    Au contraire, au contraire, si il y a des fautes tu fais très bien de me le dire. Mettre en ligne ces nouvelles me permet justement de les corriger au fur et à mesure, mais ici, j'ai peut-être publié un peu trop vite.

    Cela fait deux jours que je suis cloué au lit par un mauvais microbe, je ne sais pas si j'ai le courage nécessaire pour corriger dès maintenant, mais lorsque la forme sera revenue, je veillerais à revoir ces chapitres (moi aussi je suis chiant, disons un brin perfectionniste).

    Merci pour cette preuve d'attention. Aller la suite (et la fin) !
    3
    Jeudi 19 Février 2009 à 03:26
    Mince alors, j'espère que tu te remettras vite et bien :)
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