• Les Portes... partie 6

    Un choix
    Ounri revint aussi rapidement qu’il avait disparu. Ingrid en fut rassurée.
    « Tu as bien fait de le renvoyer.
    - Pourtant cet homme ne me voulait aucun mal.
    - Avec les meilleures intentions du monde, on peut parfois obtenir les pires résultats. J’ai senti combien il t’avait troublée. »
    Elle ne put s’empêcher de rougir à l’idée qu’il avait pu entendre toutes ses pensées, même s’il n’était qu’un chien.
    « Il est heureux qu’un tel événement arrive en ma présence. A propos, je ne suis pas juste un chien quelconque… Plus sérieusement, la vie peut vouloir te retenir Ingrid, je sais que c’est difficile à admettre, mais toi tu dois aller vers autre chose.
    - C’est-à-dire que je dois retrouver le Gardien, n’est-ce pas ?
    - Il t’attend, Veya. Il t’attend depuis que tu as expiré dans ses bras pour renaître en ce monde.
    - C’est bien ce que ce rêve m’avait fait entrevoir. Je suis, ou plutôt j’ai été Veya. Pourtant je dois avouer que j’ai du mal à l’admettre. Et puis qu’est-ce que cela veut dire rejoindre le Gardien ? Il me faut mourir ?
    - Il est d’autres moyens moins terribles pour accéder aux Portes. Dans un certain sens pourtant, il aurait été plus facile pour toi de mourir, car alors cela aurait été une fatalité. Mais on ne force jamais la fatalité. Surtout pas lorsque la vie est en jeu.
    - Plus difficile que de mourir ?
    - Dans un sens. Dans quelques temps ce sera Samain.
    - Samain ? La vieille fête celtique des morts ?
    - Vous avez au moins encore conservé un nom que nous connaissons aussi. Il te faudra me suivre jusqu’à un endroit particulier, Ingrid-Veya, et une fois là-bas, tu embarqueras pour ne plus revenir ici.
    - Mais… Mais j’ai une vie ici moi, une profession, un appartement…
    - C’est pour cela que je te disais que ce ne serait pas facile. Tu as encore le temps de bien y réfléchir, bien que si tu manque le Jour des Défunts cette année, la tâche soit encore plus dure pour le Gardien, et conséquemment, pour nous tous. Mais tu restes libre de choisir : seras-tu Ingrid, ou bien Veya ?


    Rencontre d’un autre temps
    Une petite jeune femme, robuste mais non sans charme, faisait ce matin là des relevés pour le compte de l’Office fédéral d’observation de l’écosystème. Il commençait à faire froid en ce début de novembre, mais sa tâche la passionnait et elle n’y faisait pas attention. La mer était calme, seules quelques vagues berçaient la brume matinale de leur doux ressac.
    Elle ne remarqua le son du cor qu’au bout d’un long moment. D’habitude, la corne de brume des navires faisait sursauter mais ici, on aurait dit que le bruit sourd émergeait peu à peu de cette même brume.
    Elle se rendait compte que ce son l’avait accompagnée depuis un moment sans qu’elle en prenne conscience, comme s’il faisait partie de la nature. Pourtant il était assez sinistre.

    Elle regarda un instant le brouillard sur la mer, quand soudain son attention se fixa sur une ombre. On aurait dit…
    Oui, une petite embarcation. Elle semblait haut de proue.
    A mesure qu’elle se rapprochait, elle distinguait une silhouette debout, dans un équilibre et un immobilisme qui lui semblait n’avoir rien de naturel vu l’instabilité habituelle d’un tel navire. De plus elle n’entendait ni moteur, ni rames, et ne distinguait aucune voile. Il n’y avait qu’un vent trop faible pour disperser la brume.
    De vieilles légendes remontèrent dans son esprit, et curieusement, elle n’eut pas peur lorsqu’elle commença à distinguer l’éclat brillant de l’or dont semblait vêtue la silhouette.
    Un guerrier droit comme une colonne, les deux mains posées sur le pommeau d’or de sa longue épée qu’il tenait verticalement, tout habillé d’or, lui fit bientôt face à bord d’un navire à la proue sculptée en tête de dragon.
    Elle se sentait complètement envahie par un intense soulagement.


    Menaces
    Ounri marchait dans les bois sombres. Il avait quitté Ingrid, pourrait-il retrouver Veya ? Il n’ignorait pas que dès que la jeune fille se retrouverait seule, elle aurait à faire face à elle-même d’abord, à ce monde ensuite, mais surtout aux mille et une embûches que l’Adversaire, Nidra en tête, ne manquerait pas de semer sur sa route.
    C’était ainsi. Les Règles devaient être respectées, il était intervenu, il devait maintenant laisser le monde intervenir. Cela dit Nidra était intervenu en personne avant que lui, Ounri-le-Loup-Blanc, n’agisse directement. Ainsi la balance était-elle rééquilibrée. Il ne lui avait pas encore expliqué qui était réellement Nidra. Mais le pouvait-il ? Il y avait tant de nouvelles choses déstabilisantes qu’elle devait incorporer… Elle se méfiait de Nidra, c’était déjà çà pour le moment.
    Tout à ses pensées, le chien ne vit que trop tard le regard noir qui lui faisait face au-dessus du sentier.
    « Gohnn ! »
    Le molosse noir montra les dents comme s’il souriait d’un mauvais rictus.
    « Nidra va donner son guerrier à l’Ingrid. Comme cela elle ne soupirera plus après ce pantin de Heimdall. »
    Il bava.
    « Le… L’inconnu dans la clairière ! Devant moi en plus !
    - Oui, devant tes yeux qui deviennent aveugles. Tu te fais trop vieux Ounri. Je vais me faire une joie de te renvoyer à la terre que tu n’aurais jamais dû quitter ! »
    Au moment même où il se préparait à lui sauter sur le cou pour l’égorger, Gohnn reçut un coup violent sur la tête et s’abattit comme une masse sur le côté.

    Ounri eut juste le temps de voir une ombre ramenant vers elle un bras musclé, sans doute après avoir lancé avec force un projectile sur le chien-loup. Ce dernier se releva, mais il avait perdu son avantage. Ounri ne lui laissa pas le temps de réagir.
    « Par le sang de Veya qui fut versé, le sang appelle le sang, aussi Gohnn, loup maudit, meurt et renaît chiot fragile et misérable ! »
    Tout en prononçant intérieurement son imprécation, il planta ses crocs dans la nuque de son adversaire qui se brisa d’un coup. Mais lorsqu’il se retourna, son sauveur inespéré avait disparu.


    Désillusions ?
    Je me rendis soudain compte de l’acte terrible que je venais de perpétrer. En face de moi il y avait une fille de ce monde, qui venait de voir ce qu’elle n’aurait jamais dû apercevoir en cette vie. De plus, comment retrouver Veya ? Quels étaient son nom et son apparence actuels ? Tout cela était ridicule, rocambolesque, et terriblement coûteux.
    Que faire ? Rebrousser chemin ? Mais c’était trop tard, il avait interféré avec ce monde, et tel ne devait pas être le rôle du Gardien.
    La fille, dans un habit qui faisait penser à un uniforme, une casquette fourrée vissée sur la tête, le regardais, n’osant bouger d’un petit doigt. Elle semblait avoir terriblement peur que tout disparaisse d’un coup et respirait à peine. Mais l’homme, ou elle ne sait quoi qui se trouvait sur la grève en face d’elle ne semblait plus aussi hiératique et terrible. Il avait plutôt l’air désemparé, ennuyé. Peut-être même désabusé.

    « Bienvenue en Norvège. »
    C’était la seule chose qu’elle avait trouvé à dire. L’homme la fixa attentivement.
    « Vous ne parlez peut-être pas ma langue ? L’anglais peut-être ? »
    Mais la réponse apparut dans son esprit, comme les images d’un rêve éveillé, et sans qu’il fut nécessaire d’utiliser des mots.
    Elle vit un visage, un visage de femme, très belle et rousse. Elle vit un homme désespéré, parti sur la mer à sa recherche. Elle comprit que sa quête avait quelque chose d’impossible.
    Comment trouver une personne en connaissant si peu d’elle ?
    « Je ne sais pas qui vous cherchez. »
    La conversation s’ébaucha, plus directe.
    « Je l’imagine, rassure-toi. Peut-être peux-tu cependant me renseigner sur le monde. Tu t’en doutes, je ne viens pas d’ici. Où en est la guerre ? A-t-elle éclaté ?
    - La guerre ? Quelle guerre ? Ah, vous voulez parler de la Crise, il y a quatorze ans ? »
    Le choc fut énorme. Quatorze ans ? Je suis mort pour ce monde voici deux de mes années. Comment le temps pouvait-il passer si différemment ici ?
    « C’est vrai que mes parents y ont cru à la guerre. J’étais petite à l’époque. Mais les choses se sont arrangées. Comme par miracle. La situation s’est redressée, lentement d’abord, puis de plus en plus rapidement. Mais même sans la guerre qui nous menaçait tous, le monde était dans un sale état et on continue aujourd’hui à le reconstruire. C’est comme si… Comme si aux idées noires avaient succédé des idées belles ! »
    Ainsi pouvais-je constater l’effet de ma garde. C’était d’autant plus cruel que désormais le Gardien était coincé hors des Portes. Pour combien de temps, si sept ans ici valent à peine une seule année chez moi ?
    Pourtant l’imperceptible sourire de cette petite femme m’apaisa.

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 11 Février 2009 à 16:48
    Oh, je suis contente, je ne m'étais visiblement pas trompée sur Ingrid/Veya, ni sur Nidra!
    Par contre je suis un peu perdue concernant l'espace-temps, je pensais qu'Heimdall était redevenu le gardien, qu'il faisait front dans l'univers de dieux, mais le revoilà sur la terre des hommes, cherchant Veya?!
    Et puis, combien de temps, entre le moment où il l'aperçoit en tant qu'Ingrid, dans la forêt, et celui où il parle à cette femme, sur la berge?
    J'ai parfois du mal à identifier les flashbacks et le moment présent, mais je suis sûre qu'avec la suite, tout cela coulera de source! :)
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    2
    Numéro de série 23 Profil de Numéro de série 23
    Mercredi 11 Février 2009 à 19:31
    Euh, je t'avoue que comme ce n'est pas la grande forme en ce moment, lorsque j'ai relu ces passages hier soir avant de les mettre en ligne, j'ai tendance moi aussi à me mélanger les pinceaux...

    Le problème est que cette nouvelle a été reprise bien des années après, et que comme décrit au tout début, il peut y avoir quelques maladresses. Tout le récit est tissé de flashback, et le pari, c'est de savoir si effectivement par la suite, tout deviendra clair.

    Gloup ! A toi de me dire si j'aurais réussi ou non !
    3
    Mercredi 11 Février 2009 à 19:43
    Il n'y avait là aucun reproche de ma part, bien loin de moi cette idée.
    Je suis bien placée pour savoir ô combien il est difficile de reprendre un récit où on l'avait laissé bien des années auparavant, d'ailleurs, pour ma part, je n'ai jamais réussi cet exercice de manière satisfaisante.
    Et puis ton histoire est complexe de toutes façons, le lecteur sait bien moins que toi où tu l'emmènes, mais, je n'en suis pas pour le moins toujours autant happée! Alors vivement la suite :)

    J'espère en tous cas que tu iras vite mieux et qu'il ne t'arrive rien de grave.
    A bientôt!
    4
    Numéro de série 23 Profil de Numéro de série 23
    Jeudi 12 Février 2009 à 13:30
    Aucun problème, je n'ai rien ressenti comme un reproche ! Au contraire il est très important de dire les choses au moment où on les pense en matière d'écriture.

    Rien de grave pour le Loup, plutôt une fatigue routinière qui se cumule à un manque de temps. Juste celui de t'ajouter la suite, et on repart au boulot... Mais je reviendrais te rendre visite... Et je n'oublie pas que tu m'as taggé ;)...
    5
    Lundi 16 Février 2009 à 17:14
    L'espace temps ça me connait ^^! J'aime beaucoup le ton de ton récit et son contenu est réellement très intéressant.
    Que dire de plus... la suite ... la suite ^^!
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