• Les Portes... partie 5

    Le retour de la Lumière
    Il vécut une vie d'Homme, et comme toi, il passa par des doutes et des espérances, et de nouveaux doutes.
    Il pensa mettre un terme à sa vie, et là c'eut été abandonner la lutte, rejoindre l'Ombre, admettre la toute-puissance du seul néant, et sans le savoir, accorder la victoire à Ragnar, y renonça donc, y repensa, puis accepta son destin.
    Et son destin fut de mourir à cette vie, pour renaître Gardien. Gardien des Portes. Il retrouva son île, sa force, ses armes. Il retrouva Veya, et ils ne se quittèrent plus.

    Pendant son absence, les sujets du Monde Blanc avaient dû se retirer en hâte du front que constitue la terre des Hommes, et affaiblir l'aide qu'ils pouvaient leur amener face aux Ombres, pour garder l'île eux-même. Mais qui pouvait remplacer le Gardien ?
    Ils durent s'y mettre à plusieurs, pour défendre les Portes mêmes du Gwenwed, menacé d'une invasion. Et ce fut heurts et victoires, défaites et beaucoup, beaucoup de sang perdu.
    Pendant ce temps, sur la terre des Hommes, les puissances de l'Ombre étaient pratiquement libres de pousser l'humanité au suicide, à l'angoisse, au désespoir et à la folie.

    Car la finalité de l'Ombre, a toujours été, et sera toujours, de ne pas admettre que la Création puisse devenir parfaite. Ayant renoncé à la perfection de l'Etre, ceux de l'Ombre crurent en une autre perfection: celle du Néant absolu.
    Leur but avoué est de détruire le Gwenwed, détruire le monde des Hommes, détruire la Lumière même, puis, enfin, se détruire eux-mêmes, pour qu'il ne reste rien. C'est leur choix, nous le respectons, mais il est terrible, et nous menace tous.
    Le Gardien était une image de perfection. En envoyant ses adversaires vers le monde du doute, celui des Hommes, il nous donnait une chance de les changer, et de les pousser à renoncer à la destruction.
    Si le Gardien, invincible, peut être vaincu, c'est par sa propre faiblesse, parce qu'il a douté de sa propre mission. O combien plus facile est-ce pour les Ombres de faire douter les humains.
    Sans aide de notre part, ils finiraient par renoncer eux aussi à la Lumière. C'est ce qui faillit arriver, jusqu'à ce que le Gardien revienne et que nous pûmes à nouveau intervenir ici-bas. Alors la Lumière put briller plus forte sur ce monde-ci, dans lequel tu vins au monde, Ingrid.    


    Préparation    
    L’arme était magnifique. Admirablement légère et souple, comme d’or, mais plus solide que l’acier. Il la soupesait, et de la manier ainsi, des souvenirs d’avant une vie revinrent en désordre. Des sensations oubliées d’excitation, de combats, remontèrent en lui comme de puissants prédateurs surgissant du fond de la mer.
    Cela l’effrayait presque.
    « Tu es né pour le combat, n’ai pas peur de ces impressions qui te paraissent nouvelles. C’est ta personnalité réelle qui ressurgit. Et c’est un plaisir de te retrouver, égal à toi-même ! »

    Le nain me regardait, juché sur une souche d’arbre, l’air mi-goguenard, mi-attendri.
    « Mais bon sang, il va me falloir te faire redécouvrir l’escrime ! Tu as l’air d’un cochon qui voudrait marcher sur deux pattes !
    - Oh hein ! Si tu crois que c’est facile après toute une vie d’absence… »
    Veya riait et son sourire était comme un scintillement pour le cœur de Heimdall.
    En fait la plaisanterie de Fenryr ne l’avait absolument pas touché. Il se sentais bien au milieu d’eux et la perspective de redécouvrir des forces cachées en lui lui semblait un haletant défi.
    «  Et quand pourrais-je enfiler l’armure ? »

    Le nain fit mine de se gratter son épaisse moustache aux couleurs de châtaigne.
    « Patience, mon ami ! Un tel honneur se mérite. Il va te falloir t’entraîner pas mal avant de pouvoir être digne de ta panoplie. Sais-tu que le casque à lui tout seul fut créé d’un rêve du Maître forgeron ? Qu’il a fallu une armée de nains se relayant sans arrêt pendant un temps formidablement long pour le marteler et le forger tandis qu’il irradiait sur la lave en fusion ?
    - Fenryr !
    - Euh oui Belle Dame ? »
    Il avait perdu son expression de sagesse mystérieuse dès que la douce mais profonde voix de Veya l’avait interrompu.
    « Ne crois-tu pas que comme l’épée, l’armure et le casque pourraient ramener en lui ses anciens souvenirs de manière encore plus efficace ?
    - C’est… C’est possible, mais il risque de ne plus avoir besoin de mes leçons alors… »


    La bataille
    « Heimdall réapprit tout ce qu’un guerrier devait savoir, et au-delà, sous la direction de son ami et maître d’arme, Fenryr le Nain. Il apprit aussi qu’il n’aurait à dégainer son épée que sept jours par an. Mais que durant ce temps il ne la rengainerait jamais et que tous les risques étaient possibles.

    Quand vint le premier jour de l’affrontement depuis son retour, l’Ennemi ignorait encore que le Gardien était à nouveau là.
    Quinze Jitls chargés d’établir une tête de pont arrivèrent dans un navire. Ils furent éparpillés lestement. Heimdall était sûr de sa force.
    - Les Jitls ?
    - Des êtres de forme humaine mais à la peau, à la chevelure et à la barbe vertes comme les feuilles. Cela ne te rappelle rien ? »
    Elle eut l’impression qu’Ounri-le-Loup-Blanc lui fit un clin d’œil. Sa voix mélodieuse reprit dans la tête d’Ingrid.

    « Le second jour fut pourtant fatal. C’est Ragnar en personne, le plus terrible guerrier de l’Ombre qui vint. Et il n’était pas seul. La sorcière Magran l’accompagnait.
    Elle lança un geis, un sort, qui devait obliger Heimdall à venir se battre avec Ragnar. Mais ceci n’était qu’une partie du plan. Ragnar ne bougerait pas du navire, et Heimdall serait obligé de venir le chercher, en quittant l’île et son pouvoir…
    - Je m’en souviens ! Le rêve ! La plage, la barque et tout le reste !
    - Oui, oui… Et tout le reste. Pour contrer ce terrible sort, il fallut l’intervention de la magie de Veya.
    - De Veya ? Mais…
    - Tu commences à comprendre, Ingrid. Veya força Ragnar à débarquer sur l’île.
    Magran ne put répondre, elle n’était pas assez folle pour risquer d’entraîner des tabous et des obligations paradoxaux qui pouvaient aboutir au chaos total.
    Mais Ragnar ne se démonta pas. Il mit pied à terre, dégaina son glaive, mais en frappa Veya et non le Gardien. Son devoir était rempli et son honneur sauf, et il put repartir la tête haute. Il n’avait pas l’intention de se laisser entraîner dans un duel perdu d’avance avec Heimdall. Celui-ci d’ailleurs, complètement pris au dépourvu, tentait inutilement de retenir le sang qui abandonnait la Déesse du Printemps laissée sans vie… Et un geis flottait toujours sur lui.
    - Mais dans mon rêve… Veya, c’était… »


    Interlude
    Ingrid ne put achever sa phrase. Un bruit de pas écrasant les feuilles et les herbes se faisait entendre. Ounri disparut dans les fourrées.
    La fille était complètement bouleversée par ce qu’elle entrevoyait. Le flot de pensées divergentes réapparut. Elle était pâle à mourir. Un randonneur tardif déboucha sur la clairière. La voyant ainsi, il fut inquiet et en même temps, charmé de sa beauté délicate.
    « Tout va bien mademoiselle ? »
    L’homme devait être un peu plus âgé qu’elle, les cheveux blonds coupés courts mais avec une barbe bien taillée. Il ne manquait pas d’une certaine élégance, pensée qui sembla incongrue au beau milieu du chavirement mental qu’était en train de subir Ingrid.

    La voix se fit plus pressante :
    « Est-ce que vous avez besoin d’aide ? Vous vous sentez mal ?
    - Euh non… ce n’est rien, merci. Juste un mauvais passage. Un… Un étourdissement voilà !
    - Vous pouvez dire que vous m’avez fait peur. Vous aviez l’air si pâle.
    - Je vous assure, cela va mieux maintenant »
    Elle avait terriblement envie d’entendre - était-ce le bon mot d’ailleurs - la suite du récit de Ounri, mais à le voir si proche, elle n’avait pas tellement le désir que ce bel inconnu sorti de nulle part reparte. Et il faut dire que c’était réciproque.
    « Bon. Bien… Je ne vais pas rester plus longtemps… Il se fait tard et le soleil n’en a plus pour longtemps.
    - Ah ?…
    - Encore que je vais repartir inquiet après vous avoir vue dans cet état, toute seule en pleine forêt. Au risque de vous paraître un peu lourd, je… »

    Ses manières raffinées, même si elles étaient en général redevenues de mode, ne manqua pas de l’impressionner encore plus favorablement.
    « Je ne me sentirais à l’aise que si je pouvais vous raccompagner, au moins jusqu’à ce que vous soyez dans un endroit plus fréquenté. »
    Que faire ? Pour une fois qu’un bel homme parlait autrement qu’en souriant stupidement comme pour une publicité de dentifrice ! Elle avait pendant si longtemps désiré rencontrer quelqu’un comme çà. A part Nidra, mais lui, c’était différent…
    Nidra !

    « Non, je suis vraiment désolée mais j’attends quelqu’un.
    - Ah… Bon, dans ce cas. »
    Il avait l’air vraiment d’être soudain désenchanté. Il avait sans doute cru à un rendez-vous galant.
    Il repartit non sans s’assurer encore de temps en temps qu’elle allait bien. Ingrid regretta aussitôt sa rudesse, mais elle devait revoir Ounri.


    Décision
    Le froid était mordant. Il pénètrait dans la chair, c’était comme si le blizzard hurlait en lui. Ses mains étaient collées à la garde de son épée. En face de lui, la tête gelée du Jitl le regardait encore de ses yeux rouges, démesurément ouvert.
    « Je t’en prie Gardien, garde courage. Nous n’allons pas la laisser seule là où se trouve maintenant. Nous partirons à sa recherche. Nous la retrouverons.
    - Fenryr… Oh Fenryr ! Deux ans déjà. Le Jour est revenu, et nous n’avons eu aucune nouvelle. Cela va être le septième matin. Matin ! Il n’y a plus ni nuit ni jour ici. Juste l’Hiver perpétuel. C’est la dernière chance d’y aller avant encore un an.
    - Tu ne peux pas y aller, tu le sais bien.
    - Pourrais-je, et toi-même, pourrons-nous encore longtemps vivre ici alors qu’elle n’est plus là ? Regarde, mais regarde donc Fenryr ! La glace a tout recouvert. La mort règne. Malgré tout j’attendrais. Encore. »

    Le matin, pâle lueur sur la mer, arriva. Fenryr était reparti, laissant le Gardien à sa propre lutte. A ses deux luttes : contre le nouvel assaut qui ne tarderait pas, et contre lui-même et son terrible désir de retrouver Veya.
    Mais la manœuvre de l’Ennemi fut encore plus terrible que tous les assauts des Enfers.
    Une barque apparut à l’horizon.

    Solitaire, elle paraissait vide. Lentement, elle glissa sur l’eau et s’arrêta sans un bruit contre la fine bande de sable qui restait visible entre la mer et la neige.
    Heimdall restait en alerte. Il attendit un moment. L’ennemi était-il invisible ? Il s’approcha prudemment de l’embarcation. Personne n’était tapi à bord. Et puis soudain il comprit tout le stratagème.
    La barque était là, terrible tentation lui offrant le passage tant désiré vers l’Autre rive, vers la terre des Hommes.
    Il lutta. Lutta toute la journée. Il savait que ce long jour prendrait fin, et avec lui le danger. Il lutta jusqu’au bout. Jusqu’à avant la dernière minute avant la fermeture fatidique entre les mondes.

    Alors il succomba.


    Tags Tags : ,
  • Commentaires

    1
    Mardi 10 Février 2009 à 01:04
    C'est merveilleux, j'ai de plus en plus de questions avides de réponses et je suis triste de devoir attendre la suite et de ne pouvoir la dévorer de suite :)
    Vite Vite Vite Ami Loup, il faut nourrir mon insatiable soif de lecture ;)
    2
    Numéro de série 23 Profil de Numéro de série 23
    Mercredi 11 Février 2009 à 19:33
    Puisses-tu éprouver cet intérêt tout le long de l'histoire. Très heureux d'avoir une lectrice aussi assidue !
    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :