• Les Portes... partie 4

    Veya
    « Tout te semble-t-il comme il le faut ? »
    La question est vraiment superflue. Les mains sur le balcon de bois, je feins d'admirer les nuages blancs sur la mer, qui se perd dans l'infini. Je n'ose même pas me retourner, tant j'ai peur que comme une bulle de savon, tout ceci n'éclate et ne disparaisse.
    La déesse - mais le mot me fait trop penser à l'une de ces statues grecques, belles mais froides comme le marbre dans lequel elles sont taillées - s'est entretenue avec moi, et me demande si tout va bien !
    Je risque un oeil. Elle est toujours là, ce n'est pas un mirage.
    « Je ne sais quoi dire... en fait... euh »
    Comme réponse, c'est drôlement bien réussi.
    « Tu ne te demandes plus qu'est-ce que tu fais ici ?
    - Tout est si... si enchanteur ici, que j'avoue que je n'éprouve pas le besoin de poser des questions.
    - Certes, le cadre est agréable, et j'espère l'être aussi. »

    A ce discours, je manquais de m'étrangler. Mais bien sûr qu'elle l'est !
    « J'ai vu tout à l’heure bien des fleurs égayer mon chemin, mais elles se sont aussitôt fanées lorsque j'ai vu vos yeux. »
    Mais d'où avais-je bien pu sortir une telle tirade moi ?
    Elle rit. « Et bien ! Si en si peu de temps tu te trouves déjà mieux au point  d'être poète, tant mieux. Mais j'aimerais te dire deux choses : d'abord, tutoie-moi comme je le fais pour toi, car nous sommes égaux tous les deux, et ensuite, sache bien que malgré toute la beauté de cette île », elle rougit, « et puisque tu le dis, malgré ma présence, tout n'y est pas toujours simple et agréable.
    - Difficile à croire.
    - Il vaut mieux que tu le saches tout de suite. Tu n'es pas encore au paradis. »

    Le... paradis ? Mais au fait, c'est vrai que tout ici est merveilleux, on dirait un Eden, c'est si beau...
    Que je ne me suis même pas demandé où je suis !
    « Attends un peu ? Tu n'es pas un mirage, tu ne vas pas disparaître comme çà, et tout le reste avec ?
    - Rassure-toi, dans l'instant présent, rien ne peut nous menacer, toi ou moi, et l'île toute entière est en sécurité. »


    La clairière
    Elle en pleurait maintenant. « Comme une gamine » pensait-elle.
    « Comme un ange » lui répondit une autre pensée.
    Ingrid releva la tête. Non, il n'y avait personne. Elle ne savait plus si elle avait parlé tout haut.
    « Voilà que je perds la tête maintenant !
    - Mais est-ce vraiment la tienne ? »
    Elle envoya le journal valser au milieu de la clairière.
    « Mais qu'est-ce que c'est que tout çà à la fin ! »

    Un bruissement, en provenance des fourrés la calma aussitôt. Mon Dieu, si quelqu'un avait encore été témoin... Un magnifique chien blanc aux longs poils sortit tranquillement de sous les buissons, alla vers le journal, le renifla, et le pris dans sa gueule.
    « Le chien ! Allons le chien ! Rapporte le cahier, rapporte ! »
    Ingrid redoutait qu'il ne le déchiquète. Celui-ci se contenta de la regarder en émettant un petit glapissement. « Allons, gentil chien... »
    Elle n'osait pas se lever. Toujours se méfier des apparences. C'est Nidra qui l'avait dit. Le chien émit effectivement un grognement à ce moment-là, et sembla s'éloigner, toujours avec le cahier dans sa gueule.
    « Il ne t'a pas dit de te méfier aussi de ce qu'il peut dire ? »

    A nouveau une pensée totalement incongrue. Et le chien ?
    « Bon, après tout, tu es peut-être bien aussi gentil que tu es beau, mon chien ! »
    Elle allait se lever. Le chien accourut vers elle, et elle ne put s'empêcher de reculer légèrement. Mais le chien déposa simplement le journal - intact - à ses pieds, et s'assit à son tour, regardant Ingrid, assise sur une grosse pierre plate. Elle reprit l'objet.
    « Brave toutou, va !
    - Brave, peut-être, mais « toutou », merci !
    - Mais je perds la boule moi ou quoi ? Qui pense, là ? C'est moi ou quelqu'un d'autre ?
    - Ingrid, je te pris, un petit effort. Je ne vais quand même pas aboyer, non? Tu risquerais de ne pas franchement comprendre.
    - Tu... C'est toi que j'entends dans ma tête ?
    - C'est pas trop tôt. Bonjour, moi c'est Ounri-le-Loup-Blanc, serviteur.
    - Non ?
    - Je n'allais pas m'appeler Ounri-le-Loup-Noir, non?
    C'est déjà pris par Gohnn, le caniche de Nidra.
    - Le... caniche ? Tu as bien vu ses canines, Ounri ? (Voilà que je discute avec un chien qui se prend pour un loup maintenant).
    - Pire, je les ai déjà senties !
    - C'est sûr que si tu l'as appelé comme çà, il n'a pas dû aimer... Bon, puisque je suis en plein délire, tu vas peut-être pouvoir m'expliquer certains mystères ?

    Dans la clairière, alors que les ombres s'allongent, une jeune femme aux longues nattes rousses, assise sur une pierre moussue, reste yeux dans les yeux avec un beau chien couleur de neige. Au loin passe un camion, sur la route. Un autre chien hurle à la mort.


    Le Gardien
    Il était une fois une île, qui servait de passage, entre le Gwenwed, le « Monde Blanc », siège de la Lumière et le Monde des Ombres.
    Ce passage était infranchissable, hormis une fois par an, pendant sept jours. Les habitants du Gwenwed donnèrent donc mission à l'un des leurs pour garder cette île. L'île était merveilleuse, et le Gardien passait une agréable vie tout le long de l'année, jusqu'à la semaine fatidique, durant laquelle il devait monter la garde sur la plage.
    Tirant sa force de l'île même, le Gardien y était invincible. Ceux des Ombres envoyèrent leurs plus grands champions, qui tous, furent vaincus. C'est alors que Loki, le plus malin, décida de venir affronter en personne le Gardien.
    Mais au lieu de se précipiter sur la berge pour le combattre, il resta dans sa barque et commença à lui parler de la terre des Hommes. Il réussit par sa langue de miel et sa ruse, à attiser la curiosité du Gardien.
    Loki repartit, mais le doute qu'il avait semé dans l'esprit du Gardien le travailla toute l'année. L'île ne semblait plus lui apporter la plénitude. Elle avait beau avoir été créée par Veya, princesse du Printemps Incarné, elle avait beau se laisser toujours découvrir de nouveaux sentiers que le Gardien n'avait jamais foulés, celui-ci ne pensait plus qu'à la terre des Hommes.

    Veya en fut si triste et si inquiète qu'elle vint elle-même sur l'île. Mais il était déjà trop tard. Loki était revenu, avait pu persuader le Gardien de l'accompagner au large, et là, le terrible Ragnar le mit à mort. La dernière chose qu'aperçut le Gardien, coupé de la force qu'il tirait de l'île, fut le visage en pleurs de Veya. Loki n'avait pas menti : le Gardien alla s'incarner sur la terre des Hommes. Il avait tout oublié, si ce n'est ce visage qu'il chercha partout, et ne trouva jamais.

    Jusqu'à ce jour où il tomba à l'eau et s'y noya.


    Heimdall
    « Tu ne te souviens de rien ?
    - Je devrais me souvenir de quelque chose ?
    - Tu ne te demandes pas comment tu t'es retrouvé sur cette plage ?
    - Attends... Je crois... J'avais l'impression que j'aurais dû avoir mal.
    - Tu as eu mal. Terriblement mal. Tu es passé à travers la mort, Heimdall.
    - Je suis... mort?
    - Tu as franchi le dernier voile de la réalité de la terre des Hommes.
    - Tu m'as appelé comment ?
    - Heimdall, te souviens-tu des sanglots de Veya ? »

    C'est comme si un barrage avait explosé, un torrent de souvenir se répand et noie mes pensées. D'abord toute une vie, grise, terriblement inutile mais où toutes les petites lueurs d'espoir qu'on a ensuite rejetées parce que « çà ne tient pas debout » apparaissent comme autant de phares puissants dans un océan démonté.
    Ma tête tiendra-t-elle face à tout cela ? Veya me regarde, son doux sourire m'apaise un peu. Elle est quand même inquiète. Des milliers d'ombres m'ont caché la Vérité, mais mon cœur le savait, il le savait ! Comment s'appelait cet homme qui resta accoudé au bastingage du ferry ? Quelle importance ! Mais le monde était si triste...

    « Le Gardien, c'est moi ?
    - Tu l'as dit.
    - Maintenant, tu vas rester avec moi sur l'île ?
    - Ragnar pourra-t-il mettre le doute entre nous deux ?
    - Il faudrait qu'il ait ton visage.
    - Rien n'est sûr Heimdall, mais quel que soit l'avenir, j'ai confiance en toi. Tu es resté fidèle même dans la confusion du monde des Hommes. Finalement, tu as pu revenir. Ragnar pensait que tu ne pourrais plus que te perdre et devenir à ton tour une ombre.
    - Maintenant, quoiqu'il advienne, les Portes seront défendues. »

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 5 Février 2009 à 01:41
    J'adoooooooooore ça prend forme de plus en plus, ces personnages et leur "double identité", comme un don d'ubiquité duquel ils n'auraient pas encore conscience! Je commence à me poser moultes questions au sujet de Nida, et de ces deux loups, ainsi qu'Ingrid. J'essaye de faire des liens entre leurs personnalités terrestres et ces terres proches du Walhalla où vit toute cette mythologie nordique. Qui est Nida? Incarne-t-il l'avatar du dieu fourbe Loki, ou encore Ragnar? Bref, que d'interrogations qui supplient réponses et vérité! J'en veux encore!
    Insatiable?! Peut-être, quand c'est bon :)
    2
    Numéro de série 23 Profil de Numéro de série 23
    Jeudi 5 Février 2009 à 13:56
    Eh ! Je constate que tu n'es pas en terrain inconnu en mythologie scandinave (bon c'est normal, au pays des Northmen, tu me diras...) !
    Peut-être as-tu aussi entendu parler de Bifröst ?
    Mais tu verras que les "canons" ne sont pas respectés, et que s'y mélange aussi une pincée d'éléments celtiques.

    Par contre j'ai entendu Gohn pousser un terrible hurlement... Son maître s'appelle Nidra...  (remarque cela pourrait bien sonner aussi en Nida^^).

    Aller, je te donne la suite (pas trop à la fois, parce que j'ai l'impression que tu ne dois pas trop dormir avec tout çà!).

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    3
    Jeudi 5 Février 2009 à 16:28
    Oups, toutes mes confuses à propos de ce cher "NidRa"!
    Je ne le referai plus, promis :p

    Concernant la mythologie scandinave je ne suis pas extrêmement calée mais j'ai bien quelques connaissances, comme un peu dans chaque mythologie d'ailleurs, car c'est quelque chose, ainsi que contes et légendes , qui m'a depuis toujours attiré.
    Et puis, j'ai écouté en boucle, des années durant, La Saga de Ragnar Lödbrock (que j'aimerai d'ailleurs tant retrouver) et notemment le morceau sur Fënrir, Vu et revu les Chevaliers d'Asgärd :p ... Bref, j'ai plus de savoir concernant la légende Arthurienne, même si je n'en suis pas non plus une pro.
    Bifröst, cependant, ne m'évoque pas grand chose.

    Merci pour la suite, j'ai l'impression d'être une droguée en manque :p
    4
    Numéro de série 23 Profil de Numéro de série 23
    Jeudi 5 Février 2009 à 17:06
    Tiens, je ne connais pas ce Ragnar là ?
    Pour Bifröst, demande donc à saint Wikipedia, tu verras vite le rapport (ou plutôt la source d'inspiration).

    Ne crois pas que je sois non plus calé à un haut niveau, je me nourris de toutes formes de mythologie, conte ou légende, mais dans ma tête cela ressemble plus à un foisonnement forestier qu'à un dictionnaire...
    Quant à Arthur...
    5
    Toujours Loup
    Samedi 7 Février 2009 à 20:11
    Ah en effet, j'ai un peu écouté Ragnar. C'est assez spécial, je n'ai pas tout écouté.
    Le morceau sur Fenrir est effectivement prenant, le conteur a une voix très convaincante.
    6
    Lundi 9 Février 2009 à 17:05
    Oh merci, les dernières fois que j'avais cherché sur le net je n'avais rien trouvé! Je suis tellement contente de pouvoir réentendre ça :)
    Je suis désolée de n'avoir pas encore lu la suite, comme je te le disais je suis assez préoccupée en ce moment et du coup, j'attends d'avoir l'esprit un peu plus libre pour pouvoir m'imprégner pleinement de ton histoire.
    Mais je pense que je vais enfin pouvoir m'y replonger, probablement ce soir! :)
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